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Réforme des retraites 2023 : un député s’est-il fait promettre « 35 millions » en échange de son vote ?

Création : 22 décembre 2025
Dernière modification : 23 décembre 2025

Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Relecteurs : Etienne Merle, journaliste

Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’université de Lorraine

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste

Source : Compte Facebook, le 10 décembre 2025

Alors que le PLFSS pour 2026 vient d’être adopté avec un décalage de la réforme des retraites, une séquence virale datant de 2023 est ressortie sur les réseaux sociaux. Selon les publications, un député apparenté Les Républicains se serait vu proposer « 35 millions d’euros pour voter en faveur de la réforme des retraites ». En réalité, c’est une interprétation exagérée d’une interview dudit député. Explications.

Après des semaines de longues tractations, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) a été adopté en deuxième lecture, le 16 décembre 2025. Un décalage de l’application de la réforme des retraites fait partie des mesures-phares qui ont arraché à la gauche quelques votes « pour ». Ces questionnements sur la réforme des retraites ont été l’occasion de se pencher de nouveau sur cette période agitée de la vie politique du printemps 2023.

Sur les réseaux sociaux, l’histoire d’un député Les Républicains a été repartagée des centaines de fois depuis le mouvement social de 2023. « Pierre Cordier, député LR contre la réforme des retraites, dénonce en direct sur bfm comment les sénateurs et députés se font acheter par le gouvernement d’Elisabeth Borne. ‘On m’a proposé 35 millions d’euros pour voter en faveur de la réforme des retraites' », relatent les publications. 

Ce récit qui scandalise les internautes n’est pourtant pas exact. Si des accusations de « chantage » et de « corruption » ont été prononcées durant cette période à l’encontre du gouvernement, les « 35 millions d’euros » soi-disant proposés à Pierre Cordier sont une déformation d’une interview donnée par le député à cette époque. 

« Sous forme de clin d’œil à un ministre »

Le 8 mars 2023, le député apparenté Les Républicains, Pierre Cordier, fait partie des invités de l’émission BFM Story. Les sénateurs LR ont décidé d’accélérer les débats sur l’article 7 de la réforme des retraites, qui prévoyait le report de l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, après l’examen au Sénat, le texte devait faire son retour à l’Assemblée nationale pour un possible vote définitif. Pierre Cordier, lui, fait partie des députés de droite opposés à la réforme des retraites, contrairement aux consignes de vote de son groupe politique.

Lors du plateau télévisé, la journaliste Amandine Atalaya réalise une chronique sur les scénarios possibles pour cette fameuse réforme des retraites. Elle prédit que l’hypothèse du passage de la loi « par 49.3″ est la plus forte, « car le gouvernement n’ira au vote que s’il est sûr que ça passe ». Une analyse qui fait dire au présentateur, Olivier Truchot, que la pression envers les députés LR récalcitrants à voter cette réforme va s’accentuer. 

Par trois fois, le présentateur demande au député des Ardennes quels genres de pression il subit et comment il va « y résister ». Pierre Cordier finit par répondre par une « anecdote ».

« J’étais dans un des salons de l’Assemblée nationale il y a quelques jours et je dis, sous forme de clin d’œil à un ministre, qui était présent que je ne citerai pas, ‘Si vous voulez que je vote la réforme, vous me donnerez 35 millions d’euros pour les Ardennes, j’en ai besoin parce que sur mon territoire, il y a de grosses difficultés’. – ‘Vous m’intéressez, vous m’intéressez’, m’a-t-on dit en me courant légèrement après dans les salons de l’Assemblée nationale. »

Le député continue en expliquant qu’il a vu « des parlementaires à qui on a fait des propositions sympathiques pour leurs territoires ». Sur le reste du plateau, les autres intervenants semblent interloqués. « Ah on achète les voix, en fait », dit une voix hors caméra. 

L’éditorialiste de BFM, Laurent Neumann, tente de comprendre : « Vous avez dit ça sous forme de boutade ? »  – « Pas du tout », répond Pierre Cordier.  – « Ah vous étiez sérieux, vous étiez prêt à vendre votre vote  «  – « Non c’est l’inverse, on me l’a proposé », se rattrape maladroitement le député des Ardennes. 

D’après celui-ci, « aucun député Les Républicains n’a accepté ce genre de chantage ».

Lors de cette séquence, l’histoire racontée qui n’a, par ailleurs, jamais été confirmée par aucune autre source – Pierre Cordier n’avait pas répondu à nos sollicitations lors de la publication de l’article – n’est pas exactement celle que rapportent les internautes. 

D’après son propre récit, le ministre ne lui aurait pas « proposé 35 millions d’euros ». Ainsi, c’est ici le parlementaire qui aurait chiffré lui-même explicitement le prix de son hypothétique soutien au ministre. Un montant indiqué à destination hypothétique des « Ardennes » et non pas pour la propre personne du député, comme peuvent d’ailleurs le laisser supposer les publications sur les réseaux sociaux. 

Si, dans ce cas-là, il n’y a pas de proposition venant directement d’un membre du gouvernement pour faire changer le vote des députés, plusieurs autres témoignages de cette période rapportent des tractations intenses. 

Tractations politiques, marchandages, corruption ? 

Dans un thread sur X d’un journaliste de LCI, plusieurs députés racontent un marchandage de la part du gouvernement : « ‘Un conseiller de Borne m’a appelé. Il m’a dit que si un sujet me tenait à cœur il pouvait faire quelque chose si je m’abstenais… mais j’ai coupé court’ raconte un député LIOT qui votera contre. ‘D’autres aussi ont été appelés … ils essaient de nous acheter !' », rapporte le journaliste. 

« On a essayé de me dire que si je changeais d’avis, peut-être qu’il y aurait un regard sur mes dossiers dans les années à venir », disait Jean-Luc Bourgeaux, député LR d’Ille-et-Vilaine dans un reportage de France 2, le 14 mars 2025. « On nous promet des Ehpad en plus, des commissariats. C’est un vrai marchandage », aurait dit un député LR anonyme pour le même reportage. 

Un autre témoignage dans le journal Le Parisien indiquait qu’une députée LR aurait reçu un appel de Bruno Le Maire qui aurait promis d’être « attentif » à sa circonscription. Malgré un démenti plus tardif de ce dernier, l’article avait mené la présidente du groupe La France Insoumise, Mathilde Panot, à demander à la Cour de justice de la République de se saisir de ces faits. 

Selon la députée du Val-de-Marne, les faits rapportés pourraient s’apparenter à l’infraction de l’article 433-1 du code pénal qui dispose qu’est puni « le fait, par quiconque, de proposer des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques à une personne […] investie d’un mandat électif public, pour elle-même ou pour autrui […] pour qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir, ou parce qu’elle a accompli ou s’est abstenue d’accomplir, un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat, ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat ».

Problème : cet article de loi concerne essentiellement les particuliers, ce qui n’est pas le cas ici, car les membres du gouvernement agissent en tant que fonction et non en tant que particulier. Et même si l’article parle de « quiconque », la corruption n’est pas la même chose que la négociation. Par exemple, on trouve un arrêt qui admet qu’un maire se rend coupable de corruption en versant une somme d’argent à un conseiller municipal en échange de son soutien. Mais rien qui concerne une négociation, fréquente, dans le cadre d’une discussion parlementaire. 

Pour qu’un délit de corruption passive (432-11 du code pénal) ou active (433-1 du code pénal) ou de trafic d’influence (432-11 du code pénal) soit établi, il faut, dans la plupart des cas, qu’un avantage particulier soit obtenu en échange d’un vote ou d’une intervention et matérialisé par un pacte de corruption. Même si la négociation politique peut être critiquée du point de vue politique, il ne s’agit pas de corruption au sens pénal du terme. 

Aucune procédure n’est en cours à la Cour de Justice de la République suite à ce signalement, a indiqué la Cour de cassation aux Surligneurs.

Une réforme des retraites adoptée par 49.3

Ces négociations politiques critiquées pendant l’adoption de la réforme des retraites n’ont, de toute façon, eu qu’un impact limité sur celle-ci. En effet, le projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif dans lequel était contenue la réforme des retraites a été adopté sans vote final de l’Assemblée nationale. Le 16 mars 2023, la Première ministre, Elisabeth Borne, avait engagé la responsabilité du gouvernement, comme prévu à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. 

Comme aucune des deux motions de censure qui avaient été déposées n’avait été adoptée, le texte portant la réforme des retraites avait été adopté, et promulgué le 14 avril 2023

 

Mise à jour le 23 décembre 2025 : ajout de la réponse de la Cour de cassation

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