Le président d’Est Ensemble a voulu déprogrammer le film « J’accuse » dans plusieurs salles de cinéma, avant de faire marche arrière, à raison
Dernière modification : 20 juin 2022
Auteur : Tom Le Merlus, étudiant en master droit, sous la direction de Jean-Paul Markus, professeur de droit à l’université Paris Saclay
Source : Le Monde, 21 novembre 2019
Un élu local ne peut en principe interdire la diffusion du « J’accuse » de Polanski : on n’admet les interdictions de diffusion de films par des élus locaux que si ces films sont immoraux en eux-mêmes ou si le public local présente une particulière sensibilité au sujet traité. La question des accusations de viols n’a rien à voir juridiquement avec le film. L’expression des uns (défense des victimes) ne peut empêcher l’expression des autres (réalisateurs), c’est au contraire au maire de ménager les deux.
Le président PS de l’établissement public territorial Est Ensemble, Gérard Cosme, avait déclaré vouloir déprogrammer le film J’accuse de Roman Polanski dans 6 salles de cinéma de Seine-Saint Denis. Or, même si une telle déprogrammation n’a finalement pas eu lieu en raison de protestations, une telle décision aurait été de toute façon illégale.
En vertu de ses pouvoirs, le maire peut prendre des mesures de police pour protéger l’ordre public. Ces mesures de police peuvent consister notamment à limiter ou interdire des activités de nature à choquer certaines personnes ou communautés au regard des valeurs communément admises. Il peut ainsi interdire la diffusion d’un film dans sa commune alors même que ce film a reçu un visa d’exploitation du ministère de la Culture, et que sa diffusion nationale est donc autorisée.
A quelles conditions ? Le juge est très précis : il faut que la projection du film en question menace de créer des troubles sérieux à l’ordre public, en raison notamment du caractère immoral du film et de circonstances locales particulières. Cela a été jugé il y a déjà longtemps à propos du film Le Feu dans la peau, dont l’interdiction de diffusion par le maire de Nice avait été jugée légale : il y avait un risque que des personnes incendient la salle pour marquer leur opposition à la diffusion, comme c’était malheureusement courant dans les années 1950/1960. Depuis, d’autres films ont pu être interdits, sans que le juge ne s’y oppose, et le raisonnement a été le même pour l’interdiction d’un spectacle de Dieudonné.
Dans le cas du film J’accuse, qui a reçu un visa d’exploitation, il est difficile de le qualifier d’immoral, d’autant qu’il dénonce tant l’antisémitisme que les dysfonctionnements de la justice de l’époque. S’agissant des circonstances locales, on ne voit pas non plus quel public local particulièrement sensible pourrait être choqué. Quant aux accusations de viol pesant sur Roman Polanski, elles n’ont rien à voir avec le contenu du film et ne font pas partie des circonstances permettant d’interdire un film. Si des manifestations contre Roman Polanski ont pu avoir lieu, elles n’ont rien à voir avec le film en lui-même. Ces manifestants sont bien sûr en droit de s’exprimer, mais il appartient aux autorités de faire aussi respecter la liberté d’expression des cinéastes, au besoin en contenant les manifestants aux abords des salles de cinéma. C’est une jurisprudence déjà très ancienne (décision Benjamin de 1933), mais toujours en vigueur.
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