Le maire des Essarts en Bocage (Vendée) a pris un arrêté « portant obligation d’être en joie sur la ville du 5 au 11 octobre ».

Création : 25 septembre 2019
Dernière modification : 20 juin 2022

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public

Source : Arrêté du 13 septembre 2019

Le pouvoir d’édicter des arrêtés a été conféré aux maires par la Constitution (article 72 alinéa 3) : les collectivités territoriales « s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ». Ce pouvoir inclut la police municipale, qui « a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques » (article 2112-2 du code général de collectivités territoriales), ce qui n’inclut pas la joie. La joie ne se décrète pas. Instaurer un devoir de joie revient à instaurer une dictature.

Il faut savoir qu’un arrêté municipal est fait pour être pris au pied de la lettre.

On se souvient de l’arrêté du maire de Challans ordonnant avec humour au Soleil de se manifester chaque jour. C’était de l’absurde. On se souvient plus récemment de l’arrêté anti-pesticides du maire de Langouët, moins humoristique et plus colérique au contraire. C’était un message politique. Dans les deux cas, l’arrêté était illégal mais il servait une volonté de communiquer, de sensibiliser à un problème. Il semble que l’usage de l’arrêté municipal comme outil de communication – à six mois des élections municipales – devienne récurrent. L’arrêté du maire des Essarts en Bocage n’échappe pas à la règle, d’autant qu’il prend l’aspect d’un arrêté de police. Mais il est potentiellement plus dangereux.

Car un arrêté de police, c’est exécutoire, au besoin à l’aide des forces de l’ordre. Le risque, au-delà de l’humour pas toujours bien compris, est qu’il soit pris au pied de la lettre et donc juridiquement appliqué. Petit exercice imaginaire, à partir d’un échantillon de l’arrêté en question.

Selon cet arrêté, le maire décide :

« Article 1er : d’accorder aux citoyens le pouvoir d’exprimer librement leur joie à l’occasion d’un temps fort se déroulant du 5 au 11 octobre 2019 ». À tous ceux qui expriment leur joie en tondant leur pelouse à 3 heures du matin, en klaxonnant aux aurores, ou pelotant les fesses de tout ce qui bouge… N’hésitez plus ! N’hésitez pas non plus à trinquer en groupe dans le cimetière communal.

«  Article 2 : de ne laisser rentrer sur notre territoire sur la période du 5 au 11 octobre 2019 aucune personne qui pourrait faire barrage à l’expression de cette émotion ». Chers Essartois, ne mourrez pas hors des Essarts en bocage à cette période, votre rapatriement pour inhumation pourrait s’avérer problématique. Érigez des barrages et empêchez aussi la police d’entrer pour calmer le tondeur nocturne de pelouses susmentionné, ou les guincheurs en cimetières. Quant à la liberté d’aller et venir, qui s’en soucie ?

« Article 3 : d’imposer aux colériques, aux râleurs et aux rabat-joie d’entrer sur notre territoire, débarrassés de leurs émotions négatives. Aucune dérogation ne sera accordée. » Faudra-t-il au besoin en appeler aux forces de l’ordre pour « débarrasser » les gens de leurs émotions négatives ? Quid des râleurs et rabat-joie essartois ? Ils sont déjà sur le territoire. C’est donc discriminatoire. Par ailleurs, ces râleurs ont-ils de bonnes raisons de râler ? Car râler est l’expression d’une opinion, par exemple à propos de la gestion de la commune. L’arrêté interdit donc l’expression d’une opinion et c’est illégal, permettez-nous donc de râler.

« Article 4 : d’interdire la diffusion de toute musique qui pourrait être perçue comme déprimante ou triste, de films, d’histoire ou de livres qui se terminent mal ». Censure quand tu nous tiens… Ainsi, les forces de l’ordre pourront entrer chez tout Essartois à la demande du maire ou d’un voisin, pour faire taire ce satané Requiem K626 Lacrimosa et verbaliser l’auditeur pour non-respect d’un arrêté de police. Après tout, en Syrie, ce sont les musiques et films joyeux qui furent interdits pendant un temps qui semble avoir paru très long aux intéressés. Alors ne râlons pas.

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