Burkina Faso : Non, la vidéo de ces armes ne prouve pas que “la France arme les terroristes”
Auteurs : Antoine Mauvy étudiant en droit à l’université Paris II Panthéon-Assas et Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Lili Pillot, journaliste
Source : Compte Facebook, le 16 août 2024
Depuis plusieurs années, la France est accusée de financer des groupes terroristes dans plusieurs pays africains. Les soi-disant preuves postées sur les réseaux sociaux ne reposent sur rien.
En rafales. Telle est la cadence à laquelle les publications affirmant que la France arme des terroristes au Burkina Faso ont été publiées. Une simple recherche sur Facebook permet de se rendre compte de l’ampleur du phénomène.
Tous ces posts soutiennent la même chose : un fusil “P90 de marque française d’origine belge”, a été récupéré “dans les mains des terroristes (…) sur la route de Yamba -Tandiari [deux communes dans l’est du Burkina Faso, NDLR]”, par des militaires du pays.
Selon ces publications, s’appuyant sur une vidéo montrant un fusil d’assaut, il s’agit de la preuve que “c‘est la France qui arme les terroristes”.
Pourtant, le narratif invoqué par ces posts se base sur des mensonges. Le modèle de l’arme présentée sur la vidéo ne correspond pas au fusil P90, qui n’est d’ailleurs pas fabriqué en France. De plus, le mode opératoire de cette myriade de posts rappelle étrangement les techniques de désinformation russes en Afrique.
Un mauvais modèle d’arme
Une recherche à propos du “fusil P90” nous renvoie au pistolet mitrailleur “FN P90”, produit par la Fabrique Nationale de Herstal, en Belgique et non en France. Pas vraiment besoin d’être un spécialiste pour s’apercevoir qu’il ne s’agit pas de ce fusil dans la vidéo qui nous intéresse. En effet, le FN P90 est compact, avec une coque lisse et des anses arrondies.
Pourtant sur la vidéo, l’arme à un long canon, huit fentes sont visibles sous le rail permettant de fixer un viseur et la poignée près de la gâchette est verticale. Il s’agit en réalité d’un fusil d’assaut VHS D2 de fabrication croate (HS Produkt) et non française, là encore. On ne peut donc pas affirmer que, pour le fusil filmé comme pour le fusil cité en légende du post, la France est impliquée dans leur fabrication.
À noter aussi que ces armes ne sont pas utilisées par l’armée française, précise aux Surligneurs Michel Goya, militaire et historien. “Le PN 90 est utilisé seulement par le GIGN, développe-t-il. Le VHS, qui ressemble beaucoup au Famas, d’où parfois des confusions, a été envisagé pour le remplacer, mais on lui a préféré le HK416. Il n’est pas du tout utilisé par l’armée française.”
Exploiter l’une ou l’autre de ces armes comme “preuve” d’une implication française n’a donc que peu de sens. Pire encore, pour Guillaume Ancel, ancien officier militaire et auteur du blog Ne pas subir, utiliser la photo de quelque arme que ce soit ne dit absolument rien de sa provenance. “Quand l’armée française aide officiellement une autre armée, elle prend sur ses stocks. Mais quand elle aide un groupe, il est rare qu’elle prenne sur son propre stock, conclut-il. Par exemple, au Rwanda, on fournissait les groupes avec des types d’armes déjà présentes sur place.”
Une vague de désinformation
Les informations relayées par ces dizaines de posts sont donc au moins inexactes. De plus, il est impossible de vérifier si cette vidéo a bien été tournée au Burkina Faso, ou encore de savoir si elle est récente.
Toutefois, cette affirmation selon laquelle la France armerait les terroristes en Afrique est loin d’être une nouveauté. “Ce discours a commencé au Mali lorsqu’il y a eu une réorganisation du dispositif post Barkhane, développe Caroline Roussy, responsable du programme Afrique à l’IRIS. Par porosité, il a gagné différents théâtres d’opérations.”
En 2022, le chef de la diplomatie malienne avait même assuré, dans un courrier au président de l’ONU, que la France collectait des renseignements en faveur des groupes terroristes et qu’elle leur larguait des armes et des munitions. Une affirmation qui ne s’est accompagnée d’aucune preuve et que la France a directement contestée.
Le Burkina Faso ne déroge pas à ce discours, à tous les niveaux de pouvoir. La publication d’août dernier, sur les armes présentées comme offertes par la France, a été partagée par Ibrahim Traoré, le leader de la junte ayant pris le pouvoir en septembre 2022. Mais pas seulement.
On trouve des dizaines de publications tout à fait similaires qui induisent en erreur sur les intentions de la France dans un pays du Sahel et encensent l’armée régulière du Burkina Faso (“des cœurs pour nos forces de sécurité”, dans la publication). Différentes remarques peuvent être émises.
Ouagadougou farouchement opposée à l’influence française
Premièrement, cette propagande s’inscrit dans un climat de rejet de l’influence française dans le pays. En décembre 2023, quatre agents de la DGSE avaient été retenus à la maison d’arrêt de Ouagadougou, car soupçonnés d’espionnage par les autorités burkinabées. Un an plus tôt, en décembre 2022, c’était Radio France internationale (RFI) qui s’était vu suspendre jusqu’à nouvel ordre par la junte militaire au pouvoir. La raison ? La chaîne aurait rapporté un “message d’intimidation” attribué à un “chef terroriste”. Une accusation contestée par la direction du média.
S’inscrivant dans la continuité de ces événements, les publications que nous avons repérées participent à l’inscription de la France comme persona non grata dans les pays du Sahel.
Deuxièmement, cette campagne de désinformation doit être replacée dans un contexte plus large : celui de l’influence croissante du Kremlin sur le continent africain, et plus particulièrement au Burkina Faso.
Un rapprochement entre la dictature burkinabé et le pouvoir russe
Le pouvoir burkinabé s’est rapproché du Kremlin après le putsch du 30 septembre 2022. Pour preuve, Ibrahim Traoré, putschiste et actuel chef d’État du Burkina Faso, s’est montré en juillet 2024 aux côtés de paramilitaires russes lors d’une cérémonie officielle à Ouagadougou.
En décembre 2022, c’était le Premier ministre burkinabé qui se rendait, en secret, à Moscou. Un rapprochement confirmé par Caroline Roussy de l’IRIS : “La Russie est un nouvel allié considéré comme fiable par ces juntes. Pour autant, cette année, il y a plus de civils tués par des attaques terroristes que les années précédentes.”
Le Kremlin n’en est pas à ses premiers essais en termes de discrédit porté à l’hexagone : un clip prorusse, ciblant l’Afrique, avait été diffusé sur les réseaux sociaux en janvier 2023. La France y était dépeinte comme impérialiste, assoiffée par la conquête de l’Afrique, tandis que la milice Wagner venait prêter main-forte aux pays africains contre l’envahisseur.
Nous pouvons également faire référence à la mise en scène d’un massacre au Mali par la milice Wagner, visant à accuser les militaires français. L’armée française avait alors diffusé une vidéo montrant que les mercenaires russes avaient enterré des cadavres dans le sable avant de lancer une campagne de désinformation sur les réseaux sociaux.
Ces deux tendances, la diffusion d’un narratif anti-France et le rapprochement de la junte militaire burkinabée avec la Russie constituent des éléments clefs qui permettent de mieux comprendre la dynamique politique du Burkina Faso. Certains acteurs, n’hésitant pas à manipuler l’opinion publique dans le but de redéfinir les alliances géopolitiques, dans une région du monde déjà en proie à la déstabilisation.
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