Crédits photo : European Parliament (CC 2.0)

Législatives 2024 : Jordan Bardella souhaite rétablir le délit de séjour irrégulier

Création : 3 juillet 2024

Autrice : Amandine Tochon, master droit de l’Union européenne à l’Université de Lille

Relecteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Source : CNews, 26 juin 2024

Le délit de séjour irrégulier existait en France jusqu’à ce que le juge européen déclare qu’il était contraire au droit de l’Union. Le rétablir exposerait la France à de lourdes sanctions.

Pressenti pour devenir Premier ministre si le Rassemblement national remporte une majorité absolue à l’issue des élections législatives, Jordan Bardella a affirmé qu’une fois au pouvoir, il rétablirait le délit de séjour irrégulier. Il va se heurter au droit européen.

Rétablir le délit de séjour irrégulier signifierait réintroduire dans la législation française une disposition qui criminalise le fait pour une personne de résider sur le territoire français sans autorisation légale. Cela impliquerait que les personnes en situation irrégulière seraient passibles de sanctions pénales, telles que des amendes ou des peines de prison, en plus de mesures administratives telles que l’expulsion. Cette mesure existait dans le droit français jusqu’en 2012.

Un projet en contradiction avec une directive européenne

La directive du 16 décembre 2008, dite « Directive Retour », fixe des règles communes à tous les États membres de l’Union européenne pour traiter les personnes venant de pays tiers et se trouvant en séjour irrégulier sur le territoire des États.

Cette dernière oblige les États membres à prendre une décision de retour contre les ressortissants de pays tiers en situation irrégulière. Elle recommande d’abord de donner la possibilité à ces personnes de quitter le pays volontairement. Cette décision doit inclure un délai raisonnable pour que la personne quitte volontairement le pays, sauf dans des cas spécifiques comme ceux mettant en danger l’ordre public ou la sécurité nationale (Article 6 de la directive).

Si le départ volontaire n’est pas réalisé dans ce délai, des mesures de retour forcé peuvent être envisagées. La directive impose que toute mesure forcée soit proportionnée et mise en œuvre de manière humaine, avec des garanties procédurales et des droits de recours (Article 8 de la directive). Ainsi, le projet de Jordan Bardella de rétablir le délit de séjour irrégulier en France irait à l’encontre de la directive de 2008.

Un projet en désaccord avec les décisions antérieures de la Cour de justice de l’Union européenne

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a interprété la Directive Retour dans plusieurs décisions clés, de manière à interdire les lois nationales qui pourraient aller à l’encontre des objectifs de cette directive.

Par exemple, dans une affaire de 2010 appelée El Dridi, la CJUE a décidé que la directive européenne sur le retour des migrants s’opposait à une loi nationale qui prévoit des peines de prison pour les personnes en séjour irrégulier avant même qu’on ait essayé de les renvoyer dans leur pays. La Cour a expliqué que ces peines de prison peuvent ralentir le processus de retour et nuire à l’efficacité de la directive.

De plus, dans une autre affaire de 2011 appelée Achughbabian, la CJUE a réaffirmé que la directive européenne s’opposait à une loi nationale qui permet d’emprisonner quelqu’un simplement parce qu’il est en séjour irrégulier, si cela se fait avant d’avoir appliqué les procédures de retour prévues par la directive.

Ces décisions montrent que l’Union privilégie des procédures administratives pour renvoyer les migrants, avec des garanties pour leurs droits, plutôt que des peines d’emprisonnement. Donc, rétablir le délit de séjour irrégulier, comme le propose Jordan Bardella, serait en conflit avec ces règles européennes. La CJUE sanctionnerait la France et lui infligerait des amendes jusqu’à ce qu’elle mette sa législation en conformité avec le droit européen.

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