Christian Estrosi, maire de Nice : le drapeau israélien sur le fronton de la mairie y restera « jusqu’à la libération de tous les otages »
Dernière modification : 7 juin 2024
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Relecteur : Clément Benelbaz, maître de conférences en droit public, Université Savoie Mont Blanc
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Source : France Bleu, 22 janvier 2024
Hormis certaines occasions officielles, le fronton d’une mairie ne peut servir de support à une quelconque prise de position politique, encore moins dans le domaine de la politique étrangère, réservé au gouvernement.
Christian Estrosi, maire Horizons de Nice, fait face à des manifestations devant l’hôtel de ville, de citoyens demandant que soit décroché le drapeau israélien placé sur le fronton, aux côtés des drapeaux français et niçois. Face au refus du maire, le tribunal administratif a été saisi, afin qu’il ordonne l’enlèvement. Ce dernier a estimé qu’il n’y avait pas urgence : effectivement, le drapeau étant sur le fronton de la mairie depuis le 7 octobre 2023, les requérants avaient attendu plus de sept mois pour saisir le juge… en urgence… Ce décalage est rédhibitoire en procédure administrative contentieuse, lorsqu’il s’agit dévaluer l’urgence.
Faute d’avoir été saisi dès le mois d’octobre, le juge n’a donc pas pu statuer sur le fond, à savoir la légalité – ou l’illégalité – de la présence de ce drapeau sur le fronton de la mairie de Nice.
Nous avons déjà eu quelques occasions de rappeler qu’une mairie, édifice du domaine public abritant un service public, ne pouvait en aucun cas servir de support à un message politique, en raison du principe constitutionnel de neutralité des services publics. C’est vrai d’un drapeau régional non officiel (à propos du drapeau breton sur la fronton de la mairie de Nantes, qui se situe dans les Pays-de-la-Loire), d’une banderole soutenant un mouvement syndical ou politique (banderole en soutien aux grèves contre la réforme des retraites, sur l’hôtel de ville de Paris), ou encore d’un énorme gilet jaune accroché à la mairie (dans une commune du Nord). Cela est également vrai pour les drapeaux étrangers, ce qui a été jugé à propos… du drapeau palestinien (Tribunal administratif de Lyon, 7 juillet 2011).
Pas de drapeaux étrangers en dehors d’occasions officielles
Chaque fois qu’un chef d’État étranger vient en visite officielle en France, des édifices publics sont parés des drapeaux du pays concerné, y compris l’hôtel de ville de Paris lorsque ce chef d’État y est accueilli. Faire honneur à une délégation étrangère officielle en ornant des édifices publics de son drapeau n’a rien d’une prise de position politique.
De même, on conçoit parfaitement la présence d’un drapeau étranger sur le fronton d’une mairie à l’occasion de la réception d’une délégation d’une ville jumelée. Il est vrai que Nice est jumelée avec Netanya en Israël. Or, non seulement ce n’est pas la raison invoquée dans notre cas, mais ce pavoisement ne doit durer que le temps de la visite. Ce qui vaut pour le drapeau palestinien vaut pour celui d’Israël et tout autre symbole national étranger.
De plus, cette incursion d’un maire dans la politique étrangère de la France est illégale, les communes n’ayant aucune compétence en la matière, pas plus que les autres collectivités territoriales ou les universités. Certes, les collectivités territoriales se sont vu reconnaître depuis une loi du 6 février 1992 (codifiée ensuite aux articles L1115-1 et suivants du code général des collectivités territoriales), une compétence en matière d' »action extérieure ». Mais il s’agit uniquement de coopération technique, culturelle ou autre avec des collectivités territoriales étrangères, qui ne peut s’effectuer que « dans le respect des engagements internationaux de la France« , autrement dit sans immixtion dans la politique étrangère. Par conséquent, le soutien à une des parties dans une guerre ne relève pas du maire.
Soutien à des causes nationales
On distinguera certains symboles ou messages apposés sur certaines mairies, qui font résonance avec une cause nationale. La France a condamné les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre 2023, et la Tour Eiffel a été illuminée aux couleurs du drapeau israélien en signe de solidarité. Le même type d’hommage s’est vu après les attentats de New-York en 2001.
Par ailleurs, d’autres causes nationales, comme la lutte contre le SIDA, celle contre toutes sortes de discriminations, ou encore la libération des otages français à l’étranger (notamment au Liban dans les années 1980, ou plus récemment en Iran), ont pu justifier des messages dans ce sens sur les mairies et autres édifices publics.
C’est d’ailleurs ce qui justifie que nombre de mairies ont apposé un message tendant à la libération des otages français du Hamas, qui sont encore au nombre de deux. Mais dans le cas de Nice, on voit mal le lien entre drapeau israélien et otages français qui d’ailleurs font l’objet d’un affichage séparé en mairie. Si l’affichage concernant les otages français ne semble pas contestable puisque le Hamas est considéré comme une organisation terroriste par l’Union européenne, le lien avec le drapeau trônant sur le fronton de la mairie est bien moins justifiable au regard du principe de neutralité.
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