#FactCheck. Attention à cette carte qui affirme que les enseignants français sont les moins bien payés d’Europe
Dernière modification : 31 mai 2024
Auteur : Nicolas Kirilowits, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste
Source : Compte Threads, 21 mai 2024
Les enseignants français, bonnet d’âne des salaires en Europe ? Une carte de l’Europe, quelques couleurs choisies au hasard et des chiffres qui ne laissent la place à aucun doute : les salaires des enseignants français au collège, après 15 ans d’ancienneté, sont les plus bas du continent si l’on rapporte leur rémunération au nombre d’heures travaillées et d’élèves par classe.
Même les professeurs espagnols, portugais et italiens, pourtant enseignants dans des pays considérés comme moins riches que la France, bénéficient de rémunérations plus élevées. Toutefois, si les études tendent bien à prouver que les salaires des professeurs du secondaire, en France, sont loin d’être parmi les plus élevés du vieux continent, la preuve ici et là, plusieurs éléments interrogent dans cette publication originellement publiée sur X, le 20 mai 2024.
Un calcul discutable
Le premier concerne la méthode de calcul employée. Les chiffres présentés sont un calcul à la va-vite qui divise le salaire moyen par le nombre d’heures passées en classe et le nombre d’élèves. D’abord, est-ce pertinent de réaliser ce calcul ? « Ce n’est pas une méthode de calcul habituelle« , confie aux Surligneurs Julien Farges, responsable du secteur international au SNES-FSU, le syndicat majoritaire du second degré en France. « La manière dont il est présenté comporte le risque de laisser penser au grand public que les enseignant·es français·es sont payé·es selon un forfait heure/élève, ce qui n’est pas du tout le cas« . Par ailleurs, malgré nos nombreuses recherches, nous n’avons pas trouvé d’études ou de rapports recourant à cette méthode.
Quant aux chiffres utilisés, leur source est bien référencée : ils sont issus d’un rapport de l’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE) de 2020, intitulé « Regards sur l’éducation« . Or, décrit comme « le rapport de référence sur l’état de l’éducation dans le monde« , celui-ci fait l’objet d’une publication annuelle. La dernière étude en date a été ainsi publiée le 21 décembre 2023. Soit un peu plus de trois ans après le rapport qui sert de référence à la publication, publié lui en octobre 2020.
Sur la forme, cette problématique temporelle absout Gabriel Attal, l’actuel Premier ministre et premier mis en cause par la publication, de ses péchés. En 2020, ce dernier n’a été, si l’on peut dire, successivement « que » secrétaire d’État auprès du ministre de l’Éducation nationale et de la jeunesse et porte-parole du gouvernement. Son rôle sur le salaire des enseignants du collège n’a pu être, à cette époque, que marginal.
Des points de comparaison laissés de côté ?
Autre point intéressant : certains pays sont compris dans la comparaison (l’Allemagne et l’Espagne par exemple) quand d’autres en sont arbitrairement exclus (la Roumanie ou la Suède). Or, en utilisant la formule mathématique utilisée dans la publication, nous obtenons par exemple un salaire inférieur à celui trouvé pour les Français pour les enseignants en République Tchèque ou en Grèce. Or, ceux-ci n’apparaissent pas sur la carte.
Sur le fond, au-delà du doute légitime sur le calcul que nous venons d’évoquer, l’exploitation d’anciennes données interpelle. La preuve : quand en 2019 (rapport de 2020, p. 413, Tableau D3.1) le salaire annuel brut des enseignants du collège, après 15 ans d’expérience, était de 39 814 dollars (monnaie de référence utilisée par l’OCDE), il était en 2022 (rapport de 2023, p. 403, Tableau D3.1) de 43 792 dollars.
Est-ce à dire alors que les professeurs du collège sont suffisamment payés ? « En France, la progression salariale des enseignants en début de carrière est lente. Dans ce contexte, les enseignants en milieu de carrière sont particulièrement désavantagés : selon les chiffres à la rentrée 2021/2022 (données dites de 2022 dans Regards sur l’éducation 2023), le salaire statutaire des enseignants de l’élémentaire et du secondaire après dix ou quinze ans d’ancienneté est au moins 15 % inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE.« , détaille l’OCDE elle-même dans une note consacrée à la France dans son dernier rapport.
Des salaires français inférieurs aux pays riches
Un constat rappelé par un rapport d’information du Sénat publié il y a deux ans sur le sujet : « les enseignants français commencent et terminent leur carrière avec un salaire inférieur à la moyenne de l’UE, mais c’est après dix et quinze ans d’ancienneté que l’écart avec la moyenne des pays européens atteint près de 10 000 dollars annuels, soit un montant d’au moins 15 % inférieur à la moyenne de l’OCDE.« , expliquaient-ils notamment page 9.
Pour Julien Farges, « Les professeur·es sont recruté·es à niveau master, sont des cadres A de la fonction publique, mais n’ont pas un salaire en adéquation avec leurs qualifications. »
Selon les derniers chiffres publiés par le réseau européen Eurydice, les enseignants français du collège ne se classaient que quatorzième sur 28 selon le montant annuel de leur salaire brut : 41 442 €. Un classement pour le moins moyen, « indigne de notre pays » estime Julien Farges.
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