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Robert Ménard instaure un couvre-feu pour les mineurs à Béziers : les conditions posées par le juge

Création : 23 avril 2024

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Relectrice : Isabelle Muller-Quoy, maître de conférences HDR en droit public à l’Université de Picardie Jules Verne

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction: Guillaume Baticle

Source : BFM TV, 21 avril 2024

Les arrêtés municipaux de couvre-feu, de plus en plus fréquents, ne sont pas toujours illégaux et ne suscitent pas toujours l’attention des médias, comme celui du maire de Béziers. L’arrêté, non encore publié, devra toutefois respecter certaines règles.

C’est « demain matin » – donc le 22 avril – que Robert Ménard, maire de Béziers, entend instaurer par arrêté un couvre-feu pour les mineurs à Béziers, comme il l’a fait savoir sur BFMTV. Probablement inspiré par la décision du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à Pointe-à-Pitre, qui a ordonné au préfet de Guadeloupe d’instaurer un couvre-feu (arrêté préfectoral du 20 avril 2024), l’édile biterrois compte donc actionner le pouvoir de police qu’il tient de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), pour résoudre les problèmes de violence dans sa ville, en veillant ainsi à que des enfants « ne puissent pas être tout seuls, sans leurs parents, sans adulte, après 11 heures du soir« . Si le texte de l’arrêté n’est pas encore publié, il faut connaître les règles concernant les couvre-feu.

Un maire peut tout à fait instaurer un couvre-feu

Il n’y a pas que le préfet qui peut ordonner le couvre-feu en vertu de ses propres pouvoirs de police (article L. 2215-1 du CGCT), mais aussi de l’article L. 132-8 du code de la sécurité intérieure qui lui permet de « restreindre la liberté d’aller et de venir des mineurs de treize ans lorsque le fait, pour ceux-ci, de circuler ou de stationner sur la voie publique entre vingt-trois heures et six heures sans être accompagnés de l’un de leurs parents ou du titulaire de l’autorité parentale les expose à un risque manifeste pour leur santé, leur sécurité, leur éducation ou leur moralité« .
Les maires agissent également lorsque la préservation de l’ordre public l’exige. Ainsi, le maire de Cagnes-sur-Mer a récemment annoncé la mise en place d’un couvre-feu chaque année sur le site de la commune, du 1er avril au 31 octobre 2024, dans trois quartiers de la ville. Il a pris soin de préciser qu’un arrêté précédent similaire avait été validé par la cour administrative d’appel de Marseille en 2004 (décision du 13 septembre 2004). La crainte de contamination par le covid-19 avait également pu justifier des couvre-feu, dès lors qu’étaient prouvés des « risques particuliers dans des secteurs » de la ville (Tribunal administratif de Nice, 22 avr. 2020, Ligue des droits de l’homme, à propos d’un couvre-feu de 20 heures à 5 heures du matin dans certains quartiers sensibles de Nice).

Si un arrêté de couvre-feu de 2014 du maire de Béziers avait été annulé en 2018 par le Conseil d’Etat, c’était en raison d’une justification insuffisante : « les documents produits par la ville de Béziers n’apportent pas d’éléments précis et circonstanciés de nature à étayer l’existence de risques particuliers relatifs aux mineurs de moins de 13 ans dans le centre ville de Béziers et dans le quartier de la Devèze pour la période visée par l’arrêté attaqué » (Conseil d’Etat, 6 juin 2018). Autrement dit, le couvre-feu n’a rien d’illégal en soi, tout dépend de sa justification factuelle et de son étendue dans le temps et l’espace.

Les conditions à respecter pour un couvre-feu légal

Cela fait plus de vingt que le Conseil d’Etat a posé les critères d’un couvre-feu légal, à savoir « l’existence de risques particuliers dans les secteurs pour lesquels (cette mesure a été) édictée », et le caractère « adapté » des restrictions « à l’objectif de protection pris en compte« . Dans cette affaire, le maire d’Orléans avait placé sous couvre-feu quatre secteurs de la ville, sans justifier en quoi cette mesure était nécessaire dans le quatrième secteur (Conseil d’Etat 9 juill. 2001, Préfet du Loiret). L’arrêté a donc été partiellement suspendu.

De plus, les troubles doivent être suffisamment graves : il ne saurait s’agir par exemple de répondre à quelques plaintes des riverains quant au bruit causé par des moteur et des enfants jouant tardivement au football dans la rue (Conseil d’Etat, 10 août 2001, Commune de Meyreuil). Il existe d’autres instruments juridiques pour cela et d’autres modes d’intervention.

Quant à la durée du couvre-feu, elle doit être également adaptée à l’objectif poursuivi, ce qui explique les périodes visées : vacances scolaires, saison d’été plus propice aux sorties nocturnes. Il n’est donc pas possible d’instaurer un couvre-feu sans limitation de durée. Le juge admet toutefois les arrêtés municipaux permanents, c’est-à-dire pris une fois pour toutes (jusqu’à abrogation), mais qui ne sont valables qu’à certaines périodes de l’année (à propos de la ville de Lucé, à condition d’abroger ces mesures lorsqu’elles ne sont plus justifiées ou de les faire évoluer avec les circonstances : Conseil d’Etat, 30 juill. 2001, Préfet d’Eure-et-Loir).

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