Eric Zemmour veut modifier l’article 55 de la constitution et instaurer la prédominance des lois nationales sur les traités
Dernière modification : 11 février 2024
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
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Source : CNEWS, 26 janvier 2024
Modifier la Constitution ne suffit pas à faire primer la loi nationale sur les lois européennes sauf à accepter l’idée d’un frexit juridique, ou, de façon moins radicale, à négocier avec les autres membres des réformes de l’Union européenne. Autrement, la France se verrait infliger de lourdes sanctions pour non-respect du droit européen.
Toujours la même antienne à l’extrême-droite. Eric Zemmour, président de Reconquête, veut que les lois nationales soient consacrées comme ayant valeur supérieure aux traités, en modifiant l’article 55 de notre Constitution. Au risque de nous répéter, modifier la Constitution ne suffirait pas à faire primer le droit national sur le droit européen et international.
MODIFIER NOTRE CONSTITUTION POUR FAIRE PREVALOIR LE DROIT NATIONAL EST POSSIBLE…
Eric Zemmour a raison sur le début de son raisonnement : pour faire en sorte que le droit national prime sur le droit international et non l’inverse, il faut modifier la Constitution française, en particulier l’article 55 qui prévoit expressément la primauté des traités sur les lois nationales. Mais ce n’est pas tout. L’article 88-1 qui prévoit également une obligation de respect des normes européennes par la France, doit aussi être revu. De plus, le Conseil constitutionnel a fait du respect de la primauté du droit européen une exigence constitutionnelle, dans une décision du 10 juin 2004.
Une fois la Constitution réformée, ce qui nécessite une procédure assez lourde impliquant un accord transpartisan, les juridictions nationales seraient obligées de faire primer le droit national en appliquant la Constitution.
… MAIS CELA SIGNIFIE SORTIR DE L’UNION
Eric Zemmour propose la primauté du droit national, mais sans exiger la sortie de l’Union européenne. Or, l’adhésion à l’Union s’accompagne de l’obligation d’appliquer ses règles, dites “supranationales”, qui ont précisément vocation à prévaloir sur le droit national dans le but d’harmoniser les législations nationales. C’est le principe même des traités qui ont créé l’Union européenne, lesquels ne sont jamais qu’un contrat entre États. Or, un contrat se respecte.
Les traités régissant l’Union européenne mettent en place ce qu’on appelle un ordre juridique autonome : des “lois” européennes (des directives, des règlements), et les traités eux-mêmes, tous ces textes primant sur la loi nationale, comme le martèle la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) depuis une décision de 1964, et comme l’ont reconnu les États membres en 2007 en signant unanimement une déclaration en ce sens.
Rester au sein de l’Union européenne sans faire primer les textes européens qui en découlent est incompatible en l’état du droit européen. De plus, cela ferait encourir de fortes amendes à la France, pour manquement à ses obligations européennes (la France fut par exemple condamnée par la CJUE en 2004 car elle n’avait pas appliqué les textes européens sur les OGM). Certains États, il est vrai, font durer le suspens sur le point de savoir s’ils vont payer l’amende. Il en va ainsi de la Pologne, qui s’est vu infliger une amende d’un million d’euros par jour depuis plus d’un an jusqu’à ce qu’elle mette ses lois en conformité avec le droit européen. Mais une telle attitude ouvrirait une grave crise de l’État de droit, qui est une composante de “l’identité même de l’Union”, comme l’a affirmé à l’unanimité la Cour de justice en février 2022.
En somme, si la France ne veut pas accumuler les amendes en faisant primer son droit national, il lui faut soit convaincre les autres États de modifier les traités, soit sortir de l’Union.
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