Inondations: Bruno Le Maire promet qu'”aucun habitant ne paiera deux fois la franchise”
Autrice : Sarah Porcher, doctorante en droit privé, Université de Caen Normandie
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relectrice : Amandine Cayol, maître de conférences en droit privé, Université de Caen Normandie
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Source : France Info, 7 janvier 2024
Pour soutenir les victimes d’intempéries du nord de la France, Bruno Le Maire promet aux assurés qu’ils n’auront pas à régler deux fois la franchise d’assurance. Une telle annonce interroge tant au regard du respect des contrats d’assurance et de la loi, même s’il n’est pas interdit aux assureurs de consentir à des gestes commerciaux.
Depuis plusieurs semaines, les habitants du Nord et du Pas-de-Calais ne sont pas épargnés par les intempéries. Déjà victimes d’importantes inondations et coulées de boue en novembre 2023, ces derniers doivent faire face à un nouveau déluge en ce début d’année 2024. De nombreuses communes ont été classées en état de catastrophe naturelle. Les habitants, constatant de nombreux dommages, se tournent vers leurs assureurs dans l’espoir d’obtenir une indemnisation.
Le ministre de l’Economie Bruno Le Maire se dit bouleversé par la situation. Il a annoncé que les particuliers qui ont été victimes à deux reprises d’inondations n’auront pas à payer deux fois la franchise d’assurance associée à leur contrat. Il assure que “l’engagement a été pris par les assureurs”. Pour autant, une telle affirmation interroge, notamment en ce qu’elle interfère nécessairement dans une relation contractuelle préétablie entre un assureur et ses assurés, ce qu’une autorité ne peut faire sans porter atteinte à la liberté contractuelle, qui est constitutionnelle, surtout que le contenu des contrats en question est déjà très encadré par la loi.
De quels contrats d’assurance s’agit-il ?
Depuis une loi du 13 juillet 1982, le système français prévoit une extension de garantie obligatoire couvrant le risque de catastrophes naturelles pour les contrats d’assurance de dommages aux biens. Cette garantie est actionnée lorsqu’une reconnaissance administrative de l’état de catastrophe naturelle a été prise par arrêté ministériel.
Ainsi, la garantie est due pour les dommages matériels directs non-assurables ayant eu pour cause déterminante l’intensité anormale d’un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir des dommages n’ont pu empêcher leur survenance ou n’ont pu être prises (article L. 125-1 du code des assurances). Cela peut résulter d’un séisme, d’une sécheresse, d’une inondation, d’un cyclone, etc.
De quelle franchise est-il question ?
L’indemnisation par un assureur ne sera pas toujours intégrale : des limites contractuelles délimitent souvent le champ de la garantie. Parmi ces limites, la technique de la franchise. Il s’agit de la somme forfaitaire qui restera à la charge de l’assuré après indemnisation des dommages.
Dans le cas où le sinistre impactant des biens personnels est consécutif à une catastrophe naturelle telle qu’une inondation, le montant de la franchise est légalement fixé à 380 euros pour les biens à usage d’habitation et les autres biens à usage non professionnel. Le même montant est prévu pour les dommages causés aux véhicules (Annexe I de l’article A. 125-1 du code des assurances – Depuis le 1er janvier 2024 : voir les articles A.125-6 à A.125-6-5 du code des assurances). Précision importante, la loi prévoit que si la commune où a eu lieu la catastrophe naturelle n’a pas de plan de prévention des risques, et en cas de sinistres se répétant pour un même risque, la franchise sera alors modifiée en fonction du nombre de sinistres survenus dans la commune sur une période de cinq ans pour les biens autres que les véhicules. Cela signifie que sans plan de prévention des risques, plus le risque est fréquent, plus la franchise sera importante. C’est une manière de pénaliser les assurés pour une négligence de leur commune, et donc aussi de faire pression sur les maires pour adopter un plan de prévention limitant les risques.
Contractuellement, deux franchises sont applicables
En principe, dès lors que le contrat d’assurance est mobilisé, la franchise associée l’est également. En effet, cela résulte d’une simple application du contrat, peu importe que le délai entre deux sinistres soit relativement court, comme c’est le cas pour les habitants du nord de la France. Peu importe aussi que les deux sinistres soient de même nature, avec les mêmes causes. Dès lors, les sinistrés sont en théorie tenus de payer une première franchise pour les inondations de novembre 2023 et une deuxième pour les derniers sinistres de début janvier 2024.
Ainsi, les propos du ministre de l’Economie entrent en contradiction avec le contrat d’assurance et la législation. Ce dernier ne peut, en principe, pas s’impliquer dans la relation contractuelle entre l’assureur et l’assuré et encore moins aller dans un sens différent de la loi.
Cependant, et c’est probablement le but du ministre, il n’est pas exclu que les assureurs proposent un geste commercial. Une telle proposition avait déjà été avancée durant la pandémie du covid-19. Le premier ministre de l’époque (E. Philippe) avait fait appel à la solidarité et à la mobilisation des assureurs pour soutenir ceux qui étaient le plus impactés par la crise. Si cela reste très favorable aux assurés, les assureurs y trouvent également un intérêt car cela est bénéfique pour leur image.
Par ailleurs, la promesse du ministre ne semble porter que sur les assurés particuliers, sans englober les professionnels.
Augmentation des cotisations
L’engagement du ministre et des assureurs, tout aussi solidaire soit-il, doit être replacé dans un contexte complexe de bouleversement climatique. Le risque climatique est la deuxième principale menace pour la planète (juste après le risque cyber) selon le rapport publié par le Forum économique mondial en 2022. Actuellement, le régime de la garantie du risque de catastrophes naturelles repose sur un mécanisme combinant le système assurantiel et la solidarité nationale. À ce titre, le montant des cotisations résulte d’un taux unique fixé par le législateur.
Toutefois, face aux dégâts de plus en plus importants, tant en fréquence qu’en intensité, il est envisagé d’augmenter le taux de cotisation à compter de 2025.
Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.