Qui décide vraiment ? Le peuple ou le Conseil constitutionnel ?
Dernière modification : 18 janvier 2024
Republication d’un article du 14 décembre 2021
Auteur : Guillaume Baticle, master de droit public, Université de Picardie Jules Verne
Relectrice : Sophie Meynet de Cacqueray, maître de conférence en droit public, Université Aix-Marseille
Le Conseil constitutionnel ne décide rien à la place du peuple, il ne fait que veiller au respect de la Constitution, laquelle peut être modifiée si les conditions nécessaires sont réunies.
Dans quelques jours, le Conseil constitutionnel rendra sa décision sur la loi immigration, dont certaines dispositions risquent d’être censurées. Une critique récurrente contre le Conseil constitutionnel sera assurément lancée, celle du “gouvernement des juges“. Lors de la campagne présidentielle de 2022, Éric Zemmour avait relancé cette critique en affirmant que s’il était élu, c’est le peuple qui décidera, et que le Conseil n’aura pas son mot à dire. Un reproche juridiquement infondé, car le Conseil constitutionnel ne décide rien à la place du peuple.
Le pouvoir de décision revient aux deux chambres du Parlement, institutions élues qui représentent le peuple souverain et votent les lois. Mais les lois adoptées par le Parlement sont soumises au respect de la Constitution, laquelle confie au Conseil Constitutionnel le soin de veiller à ce que ce respect soit effectif. Pratiquement toutes les constitutions du monde confient à une cour constitutionnelle ou suprême le soin de veiller à ce que le législateur n’adopte que des lois conformes. En somme, la loi n’est pas supérieure à la Constitution.
Une fois élu Président de la République, Éric Zemmour pourrait, en application de son programme électoral, faire voter des lois inconstitutionnelles par sa majorité au Parlement. Mais ces lois seraient déclarées inconstitutionnelles par le même Conseil constitutionnel, ce qui bloquerait l’application de son programme.
FAIRE PASSER SON PROGRAMME DANS LA CONSTITUTION-MÊME…
Et même si les lois étaient votées sans que le Conseil constitutionnel ne soit saisi avant promulgation, ce même conseil pourra être saisi après coup par toute personne (ou “justiciable”), en passant par les juridictions ordinaires dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité. Et dans ce cas le Conseil les déclarerait inconstitutionnelles : elles seraient donc considérées comme abrogées à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cela reviendrait là encore à bloquer son programme électoral.
Si d’aventure, le Président promulguait ou appliquait une loi déclarée inconstitutionnelle, il violerait la Constitution. Il encourrait alors la mise en jeu de sa responsabilité devant le Parlement réuni en Haute Cour.
Mais ”impossible n’est pas français” selon son slogan de campagne : Éric Zemmour, une fois élu, peut engager une révision constitutionnelle pour modifier tout ce qui dans la Constitution va à l’encontre de son programme, même si cette opération n’est pas sans limites puisque la forme républicaine de la France n’est en théorie pas modifiable selon l’article 89 de la Constitution.
… OU SE DÉBARRASSER DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL…
Il peut même supprimer complètement le Conseil constitutionnel – et donc le contrôle des lois -, ce qui laisserait la Constitution sans gardien (du moins à l’égard du législateur car les juridictions classiques continueraient de veiller au respect de la Constitution par le gouvernement). Après tout, la France a vécu sans Conseil constitutionnel jusqu’à la proclamation de la Ve République en 1958.
Pour cela, Éric Zemmour devra passer soit par l’épreuve du référendum, soit par le Congrès qui doit réunir les trois cinquièmes des votes au Parlement, après adoption de cette réforme constitutionnelle en termes identiques par les deux chambres. Cela semble bien compliqué, pour une mesure aujourd’hui aussi peu consensuelle.
… ET DE L’EUROPE
Cependant, notre Constitution inspire ou reprend dans une large proportion des principes fondamentaux qui sont également protégés par la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne. Si aucun Conseil constitutionnel ne censure les lois voulues par Éric Zemmour une fois élu, les institutions européennes pourront s’y opposer (avec de lourdes sanctions financières le cas échéant). Pour passer outre ces contrôles européens, Éric Zemmour devra se retirer respectivement de la Convention européenne des droits de l’homme, un souhait qu’il a déjà émis, et de l’Union européenne, sujet sur lequel il n’est pas encore clair. Un projet lourd de conséquences.
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