Hanouka à l’élysée : Emmanuel Macron estime qu’il a été respectueux de la laïcité
Dernière modification : 22 décembre 2023
Auteurs : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
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Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
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Relecteur : Clément Benelbaz, maître de conférences en droit public, Université Savoie Mont Blanc
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Secrétariat de rédaction : Sasha Morsli Gauthier
Source : BFMTV, 8 décembre 2023
Que le Président n’ait pas participé lui-même à l’allumage des bougies de Hanouka, et encore moins prié, est important mais pas suffisant au regard du principe de laïcité. Peut-être persuadé qu’il ne ferait que donner le départ d’une fête juive comme on inaugure les illuminations du Noël chrétien, il a permis qu’une cérémonie religieuse se déroule dans un bâtiment dédié au service public.
Emmanuel Macron a assisté ce jeudi à l’allumage de la première bougie de la fête juive de Hanouka (fête des Lumières) par le Grand rabbin de France, au sein du palais de l’Elysée. Accusé par l’ensemble de la classe politique d’avoir enfreint le principe de laïcité, il se défend en affirmant qu’il n’a aucunement participé à une cérémonie religieuse. A voir…
L’obligation de neutralité religieuse dans le cadre du service public
Le principe de laïcité a été consacré en France par la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Il prévoit que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte« . Il a acquis depuis une valeur constitutionnelle, intégré au premier article de la Constitution de 1958. Selon ce principe, l’Etat, à travers ses missions de service public, doit rester neutre vis-à-vis des religions. Il ne doit en reconnaître ni en discriminer aucune. Ce principe, qui implique à la fois une indifférence au fait religieux et une stricte réserve de la part des institutions, s’applique également aux agents des administrations dans le cadre de l’exercice de leur mission de service public.
Mais qu’en est-il des élus ?
Ces derniers agissent à la fois comme des agents publics lorsqu’ils assurent des missions de service public ou de représentation de l’Etat (par exemple un maire qui réglemente la circulation dans sa ville, ou qui préside le conseil municipal, ou qui marie deux de ses administrés), et comme des personnalités politiques lorsqu’ils sont par exemple en campagne, ou militent au sein de leur parti. Ils ne sont astreints au respect du principe de laïcité que dans le premier cas.
S’agissant des élus dans leur rôle politique, aucun texte ne les oblige à observer cette neutralité religieuse (Conseil constitutionnel, décision du 21 février 2013). Par exemple, l’Abbé Pierre, lorsqu’il était député, siégeait en soutane dans l’hémicycle (même si depuis il existe une interdiction, l’Assemblée nationale ayant réglementé les tenues dans l’hémicycle en septembre 2018). La Cour de Cassation, dans une décision du 1er septembre 2010, a par ailleurs déclaré que le principe de neutralité religieuse ne s’appliquait pas aux conseillers municipaux dans l’exercice de leurs fonctions.
Gérald Darmanin a défendu le Président en évoquant le fait qu’il avait prononcé un éloge funèbre aux obsèques religieuses de l’ancien ministre et maire de Lyon Gérard Collomb. Il a également assisté aux obsèques de Johnny Hallyday en 2017. Mais dans ces deux cas, Emmanuel Macron l’a fait à titre privé, et non en qualité de Président de la République.
D’un autre côté, le président a aussi participé à la cérémonie du Pape à Marseille. Il y était bien en tant que tel, soumis à la Constitution et donc au principe de laïcité.
A l’inverse des députés, le Président représente l’Etat, et donc exerce une mission de service public.
Le Palais de l’Elysée, un lieu d’exercice d’un service public ?
L’Elysée abrite certes la résidence privée du président, mais ce palais constitue principalement le lieu d’exercice de la Présidence, à travers notamment les réceptions d’invités français ou étrangers, et d’autres évènements officiels. Y sont également instruites diverses demandes, et des affaires publiques y sont traitées. L’Elysée est donc bien le cadre d’un service public, quand bien même il s’y dérouleraient essentiellement des évènements politiques.
Charles de Gaulle avait fait aménager une chapelle pour son usage personnel au sein des appartements privés. Mais pour la fête de Hanouka, l’allumage de la première bougie s’est tenu dans la salle des fêtes du Palais, avec les drapeaux français et européen, et le pupitre portant les couleurs de la République. Tout porte à croire qu’il s’agissait donc d’un évènement officiel (pourtant non inscrit à l’agenda public du Président). Emmanuel Macron était alors présent en sa qualité de Président de la République.
Reste à déterminer si l’allumage des bougies qui a été filmé était bien une cérémonie religieuse, ce qui poserait problème sur le plan juridique.
S’agissait il d’une cérémonie religieuse ?
Qu’est-ce qui ressort des vidéos circulant sur les réseaux sociaux ? Une réception destinée à marquer l’attribution à la France d’un prix contre l’antisémitisme. Au cours de cette remise de prix a été marqué le départ d’une fête religieuse, dans un salon de l’Elysée où trônait d’ailleurs aussi un sapin de Noël. Le Grand rabbin y a effectué une démonstration d’un rite religieux, pour montrer à la nation (devant le Président de la République en fonction) comment une partie des Français vit cette période de Hanouka. Puis le même Grand rabbin a demandé au Président s’il pouvait entonner un chant, et s’est mis à prier en allumant la première bougie. Il ne pouvait faire autrement : l’allumage des bougies étant un acte religieux et donc sacré, un rabbin ne pouvait se permettre de le faire autrement que dans un geste pieux. Le Président et le Grand rabbin lui-même en avaient-ils conscience au départ ? La vidéo les montre hésitants. Quoi qu’il en soit, on a basculé vers une cérémonie religieuse en plein palais de l’Elysée.
Une cérémonie religieuse dans un bâtiment affecté au service public…
Il est reconnu qu’un Président de la République ou tout autre élu peut assister à un rite religieux pour marquer sa considération et mettre à l’honneur une communauté, mais aussi parfois, pour marquer sa solidarité avec une partie du peuple français touché par un attentat raciste ou antisémite. Certains spécialistes (Nicolas Cadène, ancien rapporteur à l’observatoire de la laïcité, Le Monde) estiment que le principe de laïcité n’interdit aucunement d’assister à ces cérémonies religieuses tant qu’élu, donc dans le cadre de ses fonctions, tant qu’il « ne marque pas son adhésion au culte en question« . Ainsi, le fait que le Président ait pu assister à la cérémonie donnée par le Pape à Marseille sans communier, ne semblait pas poser de problème, même si les partisans les plus rigoristes du principe de laïcité n’ont guère goûté ce qu’ils voyaient comme une entorse.
Inversement, quand un maire fait installer une crèche dans sa mairie, les tribunaux l’enjoignent de la faire retirer, comme l’a décidé le Conseil d’Etat dans une décision du 9 novembre 2016 concernant la ville de Melun. Ce qui vaut pour une mairie, siège d’un service public, ne peut que valoir pour le palais de l’Elysée.
Contacté, l’Elysée n’a pas répondu aux Surligneurs.
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