Franck Muller, dit John Zavatta directeur du cirque éponyme, face au scandale Jumbo : Estrosi serait un “dictateur” en interdisant son cirque
Dernière modification : 19 mars 2023
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani
Source : Nice-Matin, 27 février 2023
Si le maire ne peut pas par principe interdire les cirques avec animaux sauvages, il peut, en tant qu’autorité de police, les interdire ou refuser l’autorisation s’il constate un manquement aux règles de respect du bien-être animal. En tout état de cause, la loi interdit ces spectacles à partir de 2028.
C’est le clash du moment : Christian Estrosi, Maire de Nice, débarque sur un terrain près duquel s’apprête à s’installer le cirque Zavatta, après avoir été alerté par une vidéo montrant l’hippopotame Jumbo se frappant violemment la tête de façon répétée contre les parois du conteneur métallique qui lui sert de baignoire, et dans lequel il est transporté. Arrive Franck Muller, dit John Zavatta, directeur de ce cirque, et traitant le maire de “dictateur” parce qu’il lui refuse l’autorisation de s’installer en raison de l’utilisation d’animaux sauvages.
Outre que John Zavatta fait montre d’une conception pour le moins extensive du terme dictateur, un maire peut tout à fait refuser l’autorisation d’un cirque avec animaux sauvages, voire l’interdire, mais il lui faut une raison juridiquement valable.
Le maire ne peut pas interdire un cirque avec animaux sauvages par principe…
En pratique, le maire n’interdit pas un cirque : il lui refuse l’autorisation de s’installer sur un terrain communal. Si le même cirque s’installe sur un terrain privé, même avec l’autorisation du propriétaire, le maire peut alors l’interdire, et cela en vertu de ses pouvoirs de police administrative. Mais le maire ne peut interdire une activité par principe, c’est-à-dire en raison d’une sorte d’idéal social, que seule la loi nationale peut définir, pas un élu local.
Dans les différentes vidéos qui ont circulé, on peut entendre John Zavatta invoquer les décisions de justice qui lui ont déjà donné raison dans d’autres villes. On peut notamment citer cette décision de la cour administrative d’appel de Douai de fin 2022, qui annula une délibération municipale de la commune d’Hénin-Beaumont, qui interdisait les cirques détenant des animaux sauvages sur le territoire communal. Car, selon la cour, “aucun texte (…) ne donne au conseil municipal le pouvoir d’édicter une telle interdiction”. Autrement dit, tant qu’une activité n’est pas interdite par la loi, un maire ne peut pas l’interdire, pas plus que son conseil municipal, voire le gouvernement. Les Surligneurs l’avaient déjà montré lors des dernières élections municipales, face à certaines promesses de candidats d’interdire ces cirques s’ils étaient élus.
Un maire ne peut pas non plus soumettre son autorisation à la suppression des numéros avec animaux sauvages dans les représentations, pour les mêmes raisons.
… Mais le maire peut interdire un cirque en cas d’atteinte au bien-être animal
Ce qui semble avoir motivé l’irruption de Christian Estrosi près du terrain où devait s’installer le cirque Zavatta, est cette vidéo montrant l’hippopotame Jumbo apparemment en souffrance. Or, si les cirques avec animaux sauvages sont encore autorisés à l’heure actuelle, ils sont soumis à des normes strictes en matière de respect du bien-être animal : un arrêté de 2011 soumet à autorisation préfectorale les entreprises gérant des cirques qui utilisent des animaux sauvages. Cette autorisation est conditionnée au respect des normes de bien-être animal.
Une fois que le cirque a obtenu l’autorisation préfectorale d’utiliser des animaux sauvages, ce qui est le cas pour Zavatta, il lui faut encore l’autorisation du maire de chaque commune où il entend s’installer. Or, le maire, en tant qu’autorité de police, peut interdire le cirque en question s’il constate un manquement aux normes, et donc une souffrance animale (autrement dit, un manquement que le préfet n’aurait pas détecté, ou qui serait survenu après les contrôles préfectoraux).
Dans le cas présent, faut-il être vétérinaire pour déterminer si un animal se frappant la tête en continu sur les parois d’un conteneur à peine plus grand que lui est en souffrance ? La réponse est un peu dans la question, et il y a de fortes chances qu’un juge, qui en plus statuerait en urgence, donne raison au maire après visionnage de la vidéo. Ce qui au passage obligerait le préfet à revoir son autorisation.
Les sensibilités et la loi évoluent vers la suppression des animaux sauvages dans les cirques
Plus généralement encore, le maire, en tant qu’autorité de police administrative, est chargé de prévenir toutes sortes de troubles à l’ordre public. Parmi ces troubles, on trouve la sécurité, la maltraitance animale, mais aussi ce qu’on appelle le bon ordre et la moralité publique : un maire doit être attentif à ce que certains publics, jugés sensibles, ne soient pas heurtés par certaines manifestations ou spectacles. Il peut donc interdire une activité qu’il considère comme étant de nature à heurter la sensibilité de publics de sa commune, dans certaines circonstances. C’est ainsi qu’a pu être interdite en 2005 l’installation d’un sexshop à proximité immédiate d’établissements scolaires et d’équipements destinés à la jeunesse. Dans un registre différent, le spectacle “Le Mur” de Dieudonné avait pu être interdit par certains maires en 2014 en raison des incitations à la haine raciale qu’il recelait.
S’agissant des cirques avec animaux sauvages, on voit mal comment un maire pourrait justifier une interdiction sur ces motifs d’ordre moral, sauf comme on l’a dit en cas de maltraitance animale avérée. Il n’empêche que la pression s’accroît sur les maires. Il y a d’abord la sensibilisation croissante de la société au sort des animaux non domestiques utilisés à des fins commerciales. Il y a surtout une législation qui évolue vers plus de protection des animaux en général (la loi de 2015 inscrivant dans le Code civil le principe selon lequel “Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité”), et sauvages en particulier. Et enfin, il y a ces vidéos qui circulent et peuvent créer des manifestations et autres troubles autour du cirque s’il venait à s’installer, obligeant alors le maire à agir selon le circonstances.
Suppression en 2028
Reste que la polémique devrait s’éteindre en 2028 : une loi du 30 novembre 2021 “visant à lutter contre la maltraitance animale” modifie le Code de l’environnement et met fin progressivement à la présence d’animaux dits “non domestiques” dans les cirques. Il sera interdit dans les deux ans (donc à partir du 1er décembre 2023) “d’acquérir, de commercialiser et de faire se reproduire des animaux appartenant aux espèces non domestiques en vue de les présenter au public dans des établissements itinérants”. S’agissant des animaux non domestiques déjà en possession des gérants de cirques, “sont interdits (…) la détention, le transport et les spectacles (en) incluant”, et cela après un délai de transition de sept ans, soit le 1er décembre 2028, sauf dérogation.
Les animaux qui auront survécu à cette période de transition pourront être confiés à des zoos ou des refuges.
Les Surligneurs n’ont pas réussi à joindre le cirque.
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