Jean-Jacques Urvoas (ancien garde des Sceaux) défend la possibilité pour Emmanuel Macron de briguer un troisième mandat présidentiel

Création : 7 décembre 2022
Dernière modification : 9 décembre 2022

Auteur : Thomas Petit, Sciences Po Saint-Germain-en-Laye

Relecteurs : Sophie de Cacqueray, maître de conférences en droit public, Aix-Marseille Université 

Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani

Mise à jour le 8 décembre 2022 concernant le dernier paragraphe

Source : L'Opinion, 27 novembre 2022

L’ancien garde des Sceaux s’appuie sur un texte relatif à l’élection du président de la Polynésie française, qui interdit plus de “deux mandats de cinq ans successifs”. Et on comprend dans ce cas qu’un mandat incomplet (par ex. quatre ans au lieu de cinq) permette de se présenter une troisième fois. Mais la Constitution de 1958 n’est pas rédigée de la même manière.

Le 27 novembre dernier, L’Opinion publiait une tribune évoquant la question d’un possible “troisième mandat présidentiel pour Macron”. L’auteure, Nathalie Segaunes, cite Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, qui évoque le scénario suivant : le Président actuel pourrait en venir à dissoudre l’Assemblée dans les prochaines semaines, et ensuite se heurter à une défaite aux élections législatives. Dans ce cas, il pourrait démissionner et ainsi, comme l’indique la Constitution, laisser sa place au Président du Sénat en l’attente d’une nouvelle élection présidentielle. Jusque là, rien de très novateur sur le plan constitutionnel. Mais Jean-Jacques Urvoas en déduit une conclusion surprenante : “Comme [Le Président] n’aurait pas effectué deux mandats successifs complets, il pourrait être candidat de nouveau”. Vraiment ?

Le précédent du président de la Polynésie française

L’argument de Jean-Jacques Urvoas est le suivant : par un avis du 18 octobre dernier concernant l’élection du président de la Polynésie française, le Conseil d’État a admis que l’actuel président de la Polynésie,  Edouard Fritch, candidat à sa propre succession, puisse se représenter pour la troisième fois. Mais il faut rappeler le contexte : sur deux mandats précédents, le premier réalisé par Edouard Fritch n’avait duré que 4 ans, puisqu’il était venu remplacer Gaston Flosse après que ce dernier avait démissionné. Selon le Conseil d’État en somme, l’idée de mandats complets était tout aussi importante que celle de mandats successifs : est admise la possibilité de briguer un troisième mandat, quand l’un des mandats précédents n’a pas duré le temps normal.

Cet avis du Conseil d’État se base en grande partie sur un texte de loi relatif à l’organisation institutionnelle de la Polynésie Française qui interdit plus de “deux mandats de cinq ans successifs”. Le texte postule explicitement un temps imparti pour un mandat présidentiel, permettant au Conseil d’État d’étudier l’hypothèse d’un mandat incomplet.

La Polynésie française n’est pas la France

Reste que cet avis du Conseil d’État est difficile à transposer au cas de l’élection à la présidence de la République. La condition du mandat complet ne se retrouve pas dans les articles de Constitution relatifs à l’élection du Président de la République. Depuis la révision constitutionnelle de 2008, l’article 6 de la Constitution règle ainsi la question du nombre de mandats : “Le président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs”. Ce texte met l’accent sur le nombre de “mandats consécutifs” (deux), sans préciser si leur durée doit être complète. On peut en déduire qu’un candidat ayant déjà exercé deux mandats à la suite, complets ou non, ne pourra pas se représenter pour un troisième mandat à la suite.

Pour cette raison, même si le président démissionnait avant la fin de son second mandat, il ne pourrait pas se représenter pour un troisième. Rappelons que les candidatures à l’élection présidentielle nécessitent l’aval du Conseil constitutionnel. Celui-ci n’a encore jamais rencontré pareille situation, et il lui reviendrait d’interpréter la Constitution pour trancher. Mais il ne pourrait s’appuyer sur l’avis du Conseil d’État, qui porte sur un texte et une élection différents.

Tout cela ne repose bien sûr que sur des interprétations des textes en situation encore inédite, et il appartiendra au Conseil constitutionnel d’en décider si une telle hypothèse se concrétisait. 

Quoi qu’il en soit, rien n’empêche Emmanuel Macron, en l’état actuel du droit, de passer le flambeau à un membre de son parti pour 2027, puis de se représenter en 2032, puisque l’interdiction de plus de deux mandats ne porte que sur des mandats consécutifs. On peut donc imaginer deux mandats consécutifs, un autre président, puis une nouvelle candidature d’Emmanuel Macron cinq années plus tard. 

Contacté, Jean-Jacques Urvoas n’a pas souhaité répondre.


Ce dernier paragraphe contenait un contresens lié à une inadvertance qu’un de nos lecteurs nous a fait remarquer. Qu’il en soit remercié. Il fallait bien lire que seuls plus de deux mandats successifs sont interdits.

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