Laurent Wauquiez et les dîners fastueux au conseil régional : obstruction à la communication des notes de frais
Dernière modification : 1 septembre 2023
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Emma Cacciamani
Ajout de l’identité du relecteur le 30 mai 2023 en raison de la mise en conformité avec l’article 2. 2. A du Code européen de fact-checking
Source : Mediacités, 8 novembre 2022
Les notes de frais des présidents de région sont légalement des documents communicables (par des copies) à qui les demande. Reste que les moyens de pression sur l’administration sont bien maigres, et que ce n’est peut-être pas par hasard.
Après l’enquête de Médiapart, révélant le coût de certains dîners organisés aux frais de la région Auvergne-Rhône-Alpes par son président Laurent Wauquiez (LR), différents autres médias ont réclamé une copie des notes de frais du même président, dont mediacités, qui de façon plus générale s’est fait le devoir d’obtenir les notes de frais d’autres personnalités, afin d’éclairer les contribuables sur la manière dont est utilisé leur argent.
Laurent Wauquiez n’a à ce jour pas refusé, nous serions bien en peine de trouver une seule citation en ce sens. Mais il n’a pas non plus fourni ces copies de notes de frais, prétextant que la demande n’est pas claire.
Les notes de frais des autorités publiques sont publiques
S’il n’a pas refusé, c’est probablement que Laurent Wauquiez, diplômé en droit et énarque, sait que ces notes de frais sont bien des documents communicables à toute personne qui les demande, en vertu de la loi. Le Code des relations entre le public et l’administration est clair : « les administrations (…) sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande« . Ce principe, qui date d’une loi de 1978, est bien sûr assorti d’exceptions, notamment s’agissant des documents comportant des secrets de vie privée, ou liés à la défense par exemple. Mais les notes de frais des présidents de région ne font pas exception, et sont donc considérées comme communicables, aux frais du demandeur au besoin (frais de copie).
La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) l’a déjà dit à d’autres occasions : récemment à propos des notes de frais du ministre de la transition écologique et solidaire, en 2020, ou encore à propos du président de Radio France en 2016 : il s’agissait bien de « notes de frais, dont les déplacements, les frais de restauration, les frais de représentation, etc ».
Des moyens de contrainte bien maigres contre l’administration… et ce n’est pas par hasard
S’il se heurte à un refus de communication, le demandeur peut saisir la CADA dans les deux mois qui suit ce refus. Cette instance se prononce alors sur la communicabilité des documents en question… et c’est tout. Malheureusement, la CADA n’a pas le pouvoir d’ordonner la communication des documents pour lesquels elle est saisie. Contrairement à d’autres autorités créées dans les années 1970 et qui ont reçu des pouvoirs bien plus forts depuis (notamment des pouvoirs de sanction), la CADA ne peut que délivrer un avis au demandeur, favorable ou défavorable, qui n’oblige en rien l’administration.
Dans la plupart des cas, il y a un vrai doute sur la communicabilité : la CADA se prononce et l’administration obtempère. Mais si cette dernière persiste, le demandeur n’a d’autre choix que de saisir le tribunal administratif, qui en général suit l’avis de la CADA et peut, en plus, condamner l’administration à délivrer une copie des documents en question, au besoin en utilisant son pouvoir d’injonction (c’est-à-dire en ordonnant à l’administration de communiquer les copies). Mais tout cela a un coût, et surtout une durée qui peut parfois se chiffrer en années.
Ainsi, le tribunal administratif de Paris vient de donner raison au demandeur contre un ministre de l’Intérieur ayant refusé de lui communiquer la copie de certains documents relatifs aux frais de représentation de certains membres de son cabinet. C’était le 27 septembre 2022 (décision n° 2101678, non publique), soit presque trois ans après la demande initiale, adressée au ministre en décembre 2019.
Nos dirigeants ont encore un léger problème avec la transparence. Sinon, il y a bien longtemps que le Parlement aurait attribué des pouvoirs plus étendus à la CADA.
La Région Auvergne-Rhône-Alpes a été contactée par Les Surligneurs mais n’a pas répondu à nos sollicitations.
Un lecteur nous a signalé une erreur de frappe dans le cinquième paragraphe de ce surlignage. Il fallait lire « dans les deux mois » et non « dans le mois ». La rectification est faite. Le 31 août 2023.
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