1/4 – Le lobbying : qu’est-ce que c’est ? Premier volet de notre série
Dernière modification : 22 juin 2022
Autrice : Clémence Papion, Clinique juridique de l’Université Jean-Moulin Lyon 3, avec la participation de Clément Legros
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit public, chercheur au laboratoire VIP, Université Paris-Saclay
Le lobbying : mot anglais, mot savant, profession peu connue, ou critiquée. Mais finalement, le lobbying qu’est-ce que c’est ? S’il a longtemps été considéré comme inexistant en France, son influence ne peut plus être contestée. Dans le cadre de l’intense lobbying actuellement mené à propos de la loi climat, Les Surligneurs ont jugé bon de lever le voile sur une pratique qui nourrit tant de fantasmes.
Entre réseautage, petits-déjeuners et cadeaux aux décideurs publics, la déontologie des lobbies questionne. Sur RMC, Thierry Coste, représentant d’intérêts auprès de la Fédération nationale des chasseurs, l’admet : “Mon métier n’est pas très déontologique, je n’ai aucun état d’âme“.
Lobbies : anges ou démons ?
Il faut le reconnaître, définir le lobbying n’est pas chose facile. Il est souvent compliqué de mettre des mots sur une pratique aussi diversifiée. En clair, le lobbying, aussi appelé “représentation d’intérêts”, consiste à influencer certains décideurs publics dans un sens favorable à l’entité qui pratique le lobby, ou bien dans un sens favorable au client pour qui il est opéré. Selon une idée reçue, le lobbying échapperait à la loi. Il n’y a là rien de plus faux, puisque cette pratique a d’abord été réglementée par le Sénat et l’Assemblée nationale de façon interne en 2009. Par la suite, en 2013, la représentation d’intérêts a été encadrée par la loi sur la transparence de la vie publique. Toutefois ce n’est que depuis la loi Sapin II de 2016 qu’il existe une définition juridique du lobbyiste basée sur la volonté de certains acteurs publiques ou privés d’influer sur les décisions publiques, notamment les lois ou les règlements. Le lobbying n’est donc pas une zone grise, dénuée de tout encadrement.
Autre idée reçue lorsqu’on parle du lobbying : il est pratiqué par des personnes mal intentionnées qui défendent un intérêt personnel et non collectif. Mais en s’y penchant de plus près, la Croix-Rouge et la Fédération internationale pour les droits de l’Homme pratiquent elles aussi du lobbying : c’est ce que révèle le répertoire de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Ce répertoire numérique informe les citoyens sur les relations entretenues entre les représentants d’intérêts et les pouvoirs publics. Voilà que l’image du lobbying s’est embellie. Comme l’indique Loïc Robert, maître de conférence en droit public à l’Université Lyon 3 : “Une fois qu’on se met d’accord sur la définition du lobbying, il est difficile d’en exclure certaines associations de lutte pour les droits de l’homme, certaines associations environnementales : de suite cela nous paraît moins méchant.”
Lobbies : qu’est-ce qu’on met dans ce mot en droit ?
Pour mieux comprendre ce phénomène, il faut donc en connaître les acteurs. Ils sont en fait multiples : des entreprises, des syndicats, des organisations professionnelles, des associations… Fabrice Alexandre, lobbyiste et vice-président de l’Association française des conseils en lobbying, regrette à ce titre que certains acteurs ne soient pas considérés comme des lobbyistes au sens de la loi comme par exemple les associations d’élus. De son côté, Marc Milet, maître de conférences en sciences politiques à l’Université Panthéon-Assas, s’étonne que “certains groupes soient sortis du dispositif d’encadrement, ainsi en est-il des représentants des Églises”. À l’origine, seules les relations entretenues par les associations cultuelles avec le ministère des cultes avaient été évincées de l’activité de lobbying. Depuis 2018, plus aucune activité menée par ces associations ne peut être considérée comme de la représentation d’intérêts. La France diffère sur ce point de la législation européenne puisque le registre de la transparence créé au sein de l’UE compte 53 organisations représentant des églises et des communautés religieuses.
Répertoire français et registre européen : la comparaison est intéressante. Alors que le répertoire entretenu par la HATVP en France recense 2301 représentants d’intérêts, celui de l’Union européenne en compte plus de 12 500. Ce sont les représentants internes, autrement dit les groupements professionnels et associations syndicales et professionnelles, qui dominent l’activité en Europe, tout comme en France. Les ONG sont légèrement plus présentes dans le lobbying européen, plus de 25% de l’activité, qu’en France où elles constituent 19% de l’activité.
En bref, selon l’accord de 2014 passé entre le Parlement européen et la Commission européenne, leur registre est censé couvrir “toutes les activités […] menées dans le but d’influer directement ou indirectement sur l’élaboration ou la mise en œuvre des politiques et sur les processus de décision des institutions de l’Union, quel que soit le lieu où elles sont réalisées et quel que soit le canal ou le mode de communication utilisé”. La définition européenne des lobbyistes est donc sensiblement plus large puisqu’elle inclut directement les méthodes utilisées.
Lobbying pour petits et gros…
Déjeuners ou petit-déjeuners avec des parlementaires, organisation de colloques, invitation à des réunions… Pour faire entendre leur voix et influencer le processus décisionnel, les lobbyistes recourent à de nombreuses méthodes. En 2020, la branche française d’Amazon a par exemple dépensé entre 800 000 et 900 000 euros en lobbying, pendant que le montant investi par Google culminait à plus d’un millions d’euros. Tout porte à croire que des moyens financiers importants rendent les choses plus faciles et qu’ainsi les grandes entreprises privées sont plus écoutées que les petites associations. Pourtant, Fabrice Alexandre, réfute cette idée : « Oui, Total a plus d’argent que bien d’autres associations. Pour autant est-ce-que Total est plus entendu ? J’observe que non. C’est vraiment une idée reçue que de dire qu’il y a des moyens financiers d’un côté et pas de l’autre. Les moyens financiers, ce n’est pas ce qui fait qu’on est plus entendu. »
Si les grandes entreprises ont à leur disposition des moyens financiers que les associations ou les ONG n’ont pas, ces dernières ont aussi des leviers d’action dont les entreprises privées ne peuvent pas profiter selon lui. Comme par exemple la mobilisation des citoyens, les pétitions, ou encore l’envoi par milliers d’emails sur les boites des parlementaires.
Mais pétitions et démarchages des décideurs politiques sont-ils réellement l’apanage des ONG ? Pas selon Pierre Bardon, ancien directeur général de SFR et enseignant à Paris Dauphine et au Celsa ainsi que Thierry Libaert, conseiller au Comité économique et social européen, qui citent en exemple la société Coyote (leader européen des avertisseurs de radars). En 2011, alors que le comité interministériel français souhaite interdire les boîtiers avertisseurs de radars, cette société entame une importante campagne de lobbying. Cela commence par la création d’une association professionnelle : l’Association française des fournisseurs et utilisateurs de technologies d’aide à la conduite (Afftac). Elle lance une pétition réunissant plus d’un million de signatures, et 890 députés ont reçu un courrier de sa part pour dissuader les politiques de voter cette mesure.
… Mais un peu plus pour les gros
L’argent n’est pas le nerf de la guerre, mais il y contribue largement notamment pour financer de larges campagnes de communications comme l’a fait Mosanto. Pour empêcher l’interdiction de la vente du glyphosate, cette entreprise qui en est le créateur a investi plusieurs millions d’euros en lobbying.
La communication est donc un levier privilégié du lobbying. À visage découvert, comme dans l’ombre. Cornélia Wolf, professeure de sciences politiques, le confie à L’Obs : le lobby c’est une histoire de réseautage et de serrage de mains. « [Les] liens interpersonnels, la connivence entre ceux qui ont été à l’école ensemble », c’est ça le lobbying en France. Par ailleurs, en 2019, l’organisation de discussions informelles ou de réunions en tête-à-tête était le deuxième type d’action privilégié par les représentants d’intérêts.
Les limites – très limitées – du lobbying
Mais il existe une ligne rouge à ne pas franchir : celle de la désinformation et du mensonge. Contacter ses connaissances hauts-placées pour tenter de les influencer, soit, mais il s’agit de les influencer avec des arguments légitimes. Raison pour laquelle la loi Sapin II interdit les petits cadeaux aux décideurs publics que ce soit sous forme de présents, de dons ou de tout avantage quelconque d’une valeur significative. Mais la pratique est toujours d’actualité : France Inter révélait encore en 2018 que l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine avait été invitée à « de grands concerts dans des lieux d’exception » auxquels elle a renoncé parce que l’invitation provenait d’un très grand cigarettier qui attendait en retour qu’elle prête une oreille attentive à son discours.
Face à cette persévérance notre droit ne se montre pas très sévère : une seule sanction pénale. C’est le bilan en demi-teinte de l’encadrement en France par la loi Sapin II des lobbies puisque sur les deux propositions faites en matières pénales, il n’y en a qu’une qui a été retenue.
La première, qui a finalement été adoptée, crée une obligation pour les lobbyistes de fournir certaines informations à la HATVP : leur identité, le champ de leurs activités, le montant des dépenses liées à la représentation d’intérêts, ou encore le nombre de personnes employées. L’entrave à la communication de ces informations est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
La seconde, adoptée mais censurée par le Conseil Constitutionnel, prévoyait de punir de la même peine, les représentants d’intérêts qui ne respectent pas l’ensemble des règles déontologiques dont celle relative à l’interdiction d’offrir des présents aux décideurs publics. Cette peine n’était envisagée qu’après une première mise en demeure de la part de la HATVP et seulement s’ils méconnaissaient à nouveau ces obligations dans les trois années suivantes.
De nombreuses critiques pointent du doigt l’inefficacité du régime actuel de sanctions contre les entorses aux règles du lobbying. Parmi ces critiques, Sylvain Waserman, député MoDem du Bas-Rhin. Dans son rapport pour un lobbying plus transparent et responsable, il indiquait en janvier 2021 que « le système de sanction prévu en cas de manquement des représentants d’intérêts à leurs obligations nécessite des ajustements. En particulier, la solution pénale sans gradation avec des sanctions administratives flexibles rend le système peu opérant. » Selon lui, ce système n’est pas assez dissuasif, en particulier pour les grandes entreprises dont le montant maximal des amendes encourues est de 75 000 euros : une somme “négligeable” pour ces acteurs économiques. La mise en place de nouvelles sanctions administratives, comme la généralisation de la pratique du name and shame par exemple, serait donc souhaitable. D’autres chercheurs, tels Anne Sachet-Milliat et Jacques Igalens dans la revue Management international de 2019, ne manquent pas de critiquer le montant de l’amende, 15 000 euros : « Les sanctions financières apparaissent légères au regard des sommes dépensées en activités politiques ».
Pour les lobbies, tenter de s’immiscer dans les discussions politiques emporte peu de risques, et finalement, le jeu en vaut la chandelle.
Mise à jour le 22 avril à 10h15 : ajout d’une précision sur le sens du rapport du député Sylvain Waserman. Modification de la rédaction du dernier paragraphe et retrait d’un lien hypertexte renvoyant vers une source non pertinente.
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