Yannick Jadot entend permettre aux intercommunalités de « réquisitionner les friches, les zones commerciales et d’activité pour les convertir en quartiers mixtes et verts »
Dernière modification : 30 septembre 2022
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université de Paris-Saclay
Source : Projet EELV 2022, p. 29
La réquisition permet à l’autorité de prendre possession d’un bien temporairement, moyennant indemnité. Ce qu’envisage Yannick Jadot en l’occurrence, c’est juridiquement une expropriation. C’est plus long… et plus cher.
Le candidat écologiste veut diminuer l’artificialisation des sols par la reconversion de constructions existantes en logements : friches, mais aussi zones commerciales ou d’activités et « logements vides » seront donc « réquisitionnés ».
La réquisition, selon le dictionnaire juridique Cornu que tout juriste possède dans sa bibliothèque, est une « opération unilatérale » (donc forcée) par laquelle une autorité civile ou militaire exige d’une personne une prestation de service, un bien mobilier ou immobilier, en vue d’assurer soit directement le fonctionnement d’un service public, soit la satisfaction d’un besoin pour le service public. Et le Cornu d’ajouter : moyennant indemnisation.
La réquisition sert un besoin ponctuel de l’administration, moyennant indemnisation
Les réquisitions existent déjà dans l’arsenal juridique français : pour la sécurité civile, lors des opérations de secours (Code de la sécurité intérieure) ; pour la santé publique, en cas de crise sanitaire (Code de la santé publique : on se souvient des réquisitions de masques) ; pour les opérations militaires et de façon générale en temps de guerre (Code de la défense), etc.
Chaque fois, il s’agit de besoins ponctuels, en particulier si la réquisition porte sur un immeuble. Celui-ci sera rendu à son propriétaire lorsque le besoin aura disparu, propriétaire qui sera indemnisé de cette privation temporaire de jouissance. L’administration se limite donc à prendre temporairement possession d’un bien, à en faire usage, mais elle n’en devient pas propriétaire. Le montant de l’indemnisation (un loyer en quelque sorte) est discuté avec l’administration qui a réquisitionné, car chaque cas est différent (surtout si le bien est endommagé) : au besoin, un juge civil mettra d’accord l’autorité et la personne dont le bien est réquisitionné.
Si le besoin de l’administration est définitif, il faut exproprier
Dans le programme écologiste, il ne s’agit pas de satisfaire un besoin temporaire de l’administration, mais de convertir définitivement certains biens immobiliers (les friches industrielles en logements par exemple), ou de les confier pour une très longue durée à d’autres personnes que leur propriétaire (dans le cas des logements vides). Cela s’apparente à une privation de jouissance définitive. Dans ce cas, l’instrument juridique de la réquisition n’est plus approprié : il s’agit juridiquement d’une expropriation, avec pour conséquence juridique un changement de propriétaire. Le bien immobilier en question sort du patrimoine de son propriétaire et passe dans celui de l’administration expropriante. Or l’expropriation doit répondre à une utilité publique (dont on ne doute pas ici) ; elle obéit à une procédure complexe, avec tout un code obligeant à effectuer une enquête d’utilité publique. Surtout, elle coûte bien plus cher : indépendamment d’une procédure longue et coûteuse, il faut indemniser le propriétaire, en lui rachetant la friche en question ou la zone d’activité, le logement, etc.
Existe-t-il d’autres moyens juridiques ?
Yannick Jadot doit donc préciser comment il compte s’y prendre, et comment il financera son projet. Notons au passage qu’il existe d’autres instruments juridiques moins complexes et moins coûteux. Augmenter la taxe sur les friches industrielles ou commerciales, qui existe déjà. Augmenter la taxe sur les logements vacants, qui existe également. En revanche, sur la reconversion de zones d’activité en fonction, il n’existe pas de dispositif juridique dédié. Le droit de préemption constitue un autre instrument possible : il consiste pour l’administration à se porter acquéreur autoritairement au moment de la vente d’un bien entre particuliers. Mais encore faut-il que la friche ou le logement en question soient à vendre et qu’ils trouvent un acquéreur, sinon la préemption n’est pas possible. En outre, la préemption coûte aussi bien plus cher que les réquisitions.
Contacté, Yannick Jadot n’a pas répondu à nos sollicitations.
Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.