Y a-t-il vraiment 82 % de retraités du régime français en Algérie qui ne devraient pas toucher leur pension ?
Autrice : Clara Robert-Motta, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Jeanne Boyer, étudiante en journalisme à l’école W
Source : CNews, le 26 septembre 2022
Une chronique de CNews de 2022, dans laquelle un journaliste assurait que 18 % seulement des retraités algériens étaient légitimes à recevoir leur pension, a refait surface sur les réseaux sociaux. Sauf que ces chiffres sont issus d’un contrôle d’une entreprise privée pour un organisme de retraite complémentaire et que le journaliste omet complètement de mentionner le contexte et la lecture faite.
Comme à chaque fois qu’il faut serrer la ceinture du budget de l’État, c’est à qui trouvera la façon la plus légitime de faire des économies. Tel un serpent de mer, la fraude aux prestations sociales revient donc sur le devant de la scène. Et parmi ces prétendues fraudes, certaines sont issues de rumeurs et de croyances. C’est le cas de ce fantasme des faux retraités du régime français résidant en Algérie qui seraient décédés, mais dont les proches continueraient de toucher leur pension.
Cette rumeur a été maintes fois contredite par la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) elle-même, mais elle persiste depuis 2010 comme Les Surligneurs l’ont développé.
Parmi les chiffres qui circulent toujours sur le sujet, on trouve dans la bouche de plusieurs internautes cette statistique : « 82 % des retraités français vivants en Algérie ne devraient plus toucher de pension ».
« La “générosité” de la France va trop loin », réagit l’une. « Ce gaspillage se transforme en charges sociales excessives qui détruisent notre industrie et notre agriculture et donc au final notre tissu social », s’emporte un autre.
Sauf que ce chiffre ne correspond pas à l’usage qui en est fait, comme l’a déjà expliqué Libération dès septembre 2022.
Cette statistique a été médiatisée par l’intermédiaire d’une chronique sur la chaîne CNews, le 26 septembre 2022, par le journaliste d’Europe 1, Dimitri Pavlenko. Depuis, cet extrait est régulièrement partagé par des hommes et des femmes politiques de droite et d’extrême droite pour prouver l’étendue d’une prétendue fraude sociale.
« L’Agirc-Arrco avait enquêté sur les 600 000 retraités, pensionnés en France mais qui vivent en Algérie, explique le journaliste. C’est un milliard de prestations. Vous allez voir, c’est dingue. Sur 1 000 allocataires de l’échantillon algérien, 179 allocataires ont été fiabilisés, c’est-à-dire qu’on sait qu’ils existent vraiment, 691 n’ont pas été retrouvés, et 130 allocataires décédés. C’est-à-dire qu’il n’y avait que 18 % qui méritaient bien leur pension. »
Deux lectures d’un même rapport
En 2018, l’organisme qui gère les retraites complémentaires obligatoires des salariés du privé (Agirc-Arcco) avait, en effet, missionné une entreprise privée, Excellcium, pour détecter de potentielles fraudes aux certificats d’existence (qui permettent de continuer à toucher une pension française à l’étranger), comme le rapporte une mission de l’Assemblée nationale en 2020.
Dans ce rapport, il est bel et bien expliqué que, sur l’échantillon de 1 000 allocataires algériens de la retraite complémentaire, 179 avaient été fiabilisés (18 %), 691 n’ont pas été retrouvés (69 %) et 130 allocataires étaient décédés (13 %).
Deux lectures sont faites du rapport. L’une par le président-directeur général de la société Excellcium, Pierre-Alexandre Rocoffort de Vinnière qui suggère que « la fraude serait massive en Algérie car peu de retraités de l’Agirc-Arrco, du moins les retraités de 85 ans et plus, seraient encore en vie ».
L’autre, par l’Agirc-Arrco, vient apporter une grande nuance. Elle indiquait que « les 69 % d’allocataires non retrouvés ne permettent pas de [s’] avancer sur des cas de fraudes potentiels » et sur les personnes décédées, il y avait quinze fraudes identifiées (les autres ont envoyé les déclarations de décès dans les six mois impartis).
Entre lacunes et chiffres extrapolés
D’autant plus que ces statistiques sont trompeuses. Il s’agissait là d’un échantillon pour les retraites complémentaires, et non pas du régime général. Il s’agit également d’un échantillon des bénéficiaires de plus de 85 ans et non pas de l’ensemble des retraités du régime français en Algérie.
Ainsi, dire que seulement 18 % des retraités français vivants en Algérie sont légitimes à toucher leur pension ne repose pas sur une base factuelle suffisante, car les chiffres sont extrapolés et ne soulignent pas les lacunes de la mission de vérification.
Ceci dit, l’organisme de retraite complémentaire pointe une situation « peu satisfaisante » et appelle à d’autres modalités. « Les certificats de vie ne peuvent suffire à eux seuls pour s’assurer de l’existence des retraités vivant à l’étranger dans les pays où l’état civil n’apporte pas un niveau de garantie suffisant. » La Cnav a, depuis, pris d’autres mesures de vérification, comme nous l’avons expliqué dans un précédent article.
Face aux soupçons persistants et à la demande du gouvernement, la Cnav a également mené des contrôles sur place en affectant deux personnes au consulat d’Alger, explique l’organisme aux Surligneurs.
La dernière mission de contrôle en date a eu lieu sur 2 000 assurés de plus de 95 ans en Algérie. Un millier d’entre eux ne se sont pas présentés à la convocation et ont vu leurs pensions suspendues. « C’était une mesure de précaution, mais cela ne signifie pas que ces personnes étaient mortes, explique Renaud Villard, directeur général de la Cnav. Entre le moment où les contrôles commencent et où ils finissent, il peut se passer six mois. Or, à plus de 95 ans, il y a un risque sur deux de mourir dans l’année. »
Le directeur note aussi qu’il a pu être très difficile pour certaines personnes (encore une fois très âgées) de se déplacer au consulat d’Alger vu la superficie du pays.
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