Virginie Duby-Muller : “J’ai déposé une proposition de loi visant à rendre inéligibles les fichés S “

Création : 1 août 2024
Dernière modification : 5 août 2024

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public

Relecteurs : Sacha Sydoryk, maître de conférences en droit public à l’Université de Picardie Jules Verne

Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’Université de Lorraine

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Source : Compte X de Virginie Duby-Muller, 24 juillet 2024

Rendre automatiquement inéligibles tous les fichés S se heurte à de nombreux obstacles juridiques, et serait contraire à la Constitution.

Virginie Duby-Muller, députée Les Républicains de Haute-Savoie, souhaite rendre inéligibles les personnes fichés S. Cette proposition de loi vient en réaction à l’élection du député LFI Raphaël Arnault, fiché S. Mais une telle loi poserait de nombreux problèmes juridiques.

Être fiché S, qu’est-ce que c’est ?

La “fiche S” pour ”sûreté de l’État” est une des catégories du fichier des personnes recherchées (FPR), fichier policier géré par le ministère de l’Intérieur. Lorsqu’une personne est fichée S, cela signifie qu’elle fait “l’objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard”, conformément au décret du 28 mai 2010 relatif au FPR.

C’est un outil de renseignement qui permet de surveiller les individus et d’adapter la réponse des forces de l’ordre lorsqu’ils contrôlent une personne fichée S notamment dans des lieux sensibles comme des aéroports. Pour autant, le fichier S ne témoigne pas d’une condamnation. C’est une décision des services de police et de renseignements prise de façon discrétionnaire.

Revoir la procédure d’inscription au fichier S

Actuellement, pour inscrire une personne au fichier de surveillance, tout se passe en interne. La personne visée n’est pas sollicitée et ne sait même pas qu’elle est inscrite. Pour qu’une telle inscription ait des conséquences sur la vie de la personne, comme l’inéligibilité proposée, il faudrait instaurer une procédure de contradictoire. Comme face à un juge qui, pour l’instant, est la seule personne compétente pour déclarer quelqu’un inéligible, sauf cas prévus par la loi qui concernent les titulaires de certaines fonctions comme les préfets (article LO132 du code électoral), ou les personnes sous tutelle ou curatelle (voir notre article sur un candidat aux législatives sous curatelle renforcée).

Automatiser l’inéligibilité des fichés S est contraire à la Constitution

Jusqu’en 2010, l’article 7 du code électoral prévoyait de rendre (automatiquement) inéligibles les personnes condamnées pour certaines infractions. Dans une décision du 11 juin 2010, le Conseil constitutionnel a déclaré cet article inconstitutionnel, car son caractère automatique méconnaissait le principe d’individualisation des peines, qui découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC).

Nul doute que la loi proposée par la députée Virginie Duby-Muller serait censurée par le Conseil constitutionnel. Même sans être automatique, l’inéligibilité d’une personne au seul motif qu’elle est surveillée par les services de police se heurte à d’autres principes à valeur constitutionnelle. On infligerait à un individu une peine sans qu’il soit condamné pour avoir commis une infraction. Cela bafouerait sa présomption d’innocence, garantie par l’article 9 de la DDHC.

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