Valérie Pécresse souhaite pénaliser le fait de forcer quelqu’un à porter le voile
Dernière modification : 24 juin 2022
Auteur : Amaury Bousquet, avocat au barreau de Paris
Relectrice : Marion Majorczyk, doctorante en droit privé sciences criminelles, Université de Lille
Source : BFM TV, 2022 le débat de la droite, 14 novembre 2021, 38'
Valérie Pécresse prend un risque avec cette proposition. Si l’interdiction du voile intégral, dissimulant le visage, a été reconnue constitutionnelle pour des raisons de sécurité et de dignité des femmes, il va falloir prouver que le fait de forcer une femme à porter le voile simple pose des problèmes sécuritaires ou porte atteinte à sa dignité, ou à sa liberté de conscience. Pourquoi pas. Mais alors qu’est-ce qui justifie de ne viser que le voile ?
Dimanche 14 novembre, lors du débat entre les candidats Les républicains à l’élection présidentielle, Valérie Pécresse a affirmé à plusieurs reprises vouloir pénaliser le fait de forcer quelqu’un à porter le voile (c’est-à-dire en faire une contravention, un délit ou un crime). Or un tel comportement est déjà, en partie, réprimé en droit français depuis une loi du 11 octobre 2010.
En effet, le Code pénal réprime “le fait pour toute personne d’imposer à une ou plusieurs autres personnes de dissimuler leur visage par menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir, en raison de leur sexe”. Cette infraction est punie d’un an d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende (les peines sont aggravées lorsque les faits sont commis à l’encontre d’un mineur).
Une loi de 2010 réprime le fait de contraindre une personne à porter un voile qui dissimule son visage
La loi existante réprime le fait de contraindre une personne à porter un vêtement ou un accessoire, y compris un voile, dès lors que le port de ce vêtement ou de cet accessoire conduit à dissimuler le visage.
Selon le Conseil constitutionnel, qui avait validé la loi à l’époque, la pratique consistant à dissimuler son visage, par quelque moyen que ce soit, méconnaît les « exigences minimales de la vie en société » et peut constituer un « danger pour la sécurité publique ». La Cour européenne des droits de l’homme a de son côté, considéré qu’une telle interdiction est “proportionnée au but poursuivi, à savoir la préservation des conditions du vivre ensemble en tant qu’élément de la protection des droits et libertés d’autrui”.
Cette loi de 2010 visait essentiellement à protéger les femmes (ou les jeunes filles). Ce « soutien à la défense des droits des femmes » avait été invoqué par le Gouvernement lors des débats sur la loi de 2010. Le Conseil constitutionnel avait également relevé que « les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité ».
Ainsi, pour être punissable, la contrainte doit être liée au “sexe” de la personne à l’encontre de laquelle elle est exercée.
Enfin, cette notion de « contrainte » (qui peut intervenir par « menace, violence, contrainte, abus d’autorité ou abus de pouvoir ») permet de viser l’influence ou l’emprise exercée par la famille, l’entourage, l’époux ou le guide religieux, qui ne laisserait pas à une femme la possibilité de choisir librement de porter, ou non, le voile, ou le lui imposerait. Le droit actuel interdit donc de forcer une femme à cacher son visage, au moyen d’un voile ou non.
La loi pourrait-elle punir directement le fait de forcer une femme à porter le voile, même ne dissimulant pas le visage ?
La loi de 2010 – en vigueur – avait été motivée principalement par des considérations sécuritaires, et non par des principes tels que la laïcité, le respect de la dignité humaine ou l’égalité entre les femmes et les hommes. Le Conseil d’Etat avait ainsi considéré que seule la sécurité publique pouvait justifier l’interdiction de la dissimulation du visage dans l’espace public (par exemple parce que permettre à chacun de dissimuler son visage quand il le souhaite ne permettrait pas aux forces de l’ordre d’identifier un criminel recherché).
De plus, à l’époque, le législateur avait fait le choix de ne pas viser spécifiquement le voile comme vêtement religieux, afin que le texte ne soit pas contesté sur un plan juridique (même s’il l’a largement été). C’est la raison pour laquelle la loi de 2010 a interdit le port de “tout accessoire ou vêtement” ayant pour effet de dissimuler le visage, y compris les cagoules ou les masques, dépourvus de connotation religieuse, et non pas uniquement le voile. C’est à cette condition que le Conseil constitutionnel tout comme la Cour européenne des droits de l’homme avaient validé cette loi.
Or, Valérie Pécresse envisage de réprimer le fait de contraindre une femme à porter un voile, même si celui-ci ne dissimule pas le visage. Cela constituerait un élargissement important de la loi existante.
Avec quel fondement juridique ?
Les justifications qui avaient été invoquées en 2010 (la sécurité) ne pourraient sans doute pas être reprises ici pour soutenir une telle proposition précisément car il n’y a pas de dissimulation de visage : l’existence d’enjeux ou de risques liés à la sécurité publique ne serait probablement pas ici pertinente.
D’autres impératifs pourraient éventuellement être invoqués, comme le respect de la dignité ou le droit à l’égalité (qui sont reconnus comme des principes constitutionnels). Il faudrait donc démontrer que l’interdiction de forcer une personne à porter un voile (y compris un voile qui ne conduit pas à dissimuler le visage) permet de protéger les victimes de cette contrainte et de garantir leurs droits et leurs libertés (le délit existant figure d’ailleurs dans un chapitre du Code pénal intitulé “Des atteintes à la dignité de la personne”).
Viser le seul voile ou tout vêtement religieux ?
Dans le cas où la proposition viserait spécifiquement, et uniquement, le voile, il faudra toutefois s’assurer qu’elle ne porte pas atteinte à d’autres principes fondamentaux comme celui de laïcité ou de liberté de conscience ou d’expression (qui sont eux aussi garantis, tant par la Constitution que par le droit européen).
Cela signifie que pour que cette loi ne soit pas regardée comme portant atteinte à la liberté de conscience, il faudrait élargir l’interdiction au fait de contraindre une personne à porter un vêtement ou un accessoire, quel qu’il soit.
Et la proportionnalité dans tout ça ?
L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit l’exercice de la liberté de pensée, de conscience et de religion, permet d’établir des restrictions à cette liberté, pour autant que ces restrictions sont “nécessaires à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publics, ou à la protection des droits et libertés d’autrui”. Ces restrictions ont été admises par la Cour de cassation en 2013 et en 2014, qui a jugé que la loi de 2010 “vise à protéger l’ordre et la sécurité publics et à garantir les conditions du vivre ensemble en imposant à toute personne circulant dans un espace public, de montrer son visage”.
Reste que, dans tous les cas, il faudra s’assurer que cette nouvelle loi sera strictement nécessaire au regard de l’objectif recherché, en application du principe de nécessité de la loi pénale (qui interdit de créer de nouvelles infractions si l’arsenal répressif existant est déjà suffisant pour permettre la répression de comportements similaires).
Valérie Pécresse nous a répondu : selon elle « protéger les femmes et prendre la défense des opprimées n’est pas un risque, c’est un devoir ». Elle mentionne l’oppression dont font l’objet tant de femmes, et invoque, comme nous l’avons indiqué, la dignité humaine. Dans cette réponse, elle centre sa proposition sur les enfants mineures, et signale avoir déjà déposé un amendement dans ce sens lors du vote de la loi dite « séparatismes« , qui n’avait pas été adopté. Tout cela n’est pas contestable. Nous avons attiré l’attention de Valérie Pécresse sur le risque lié aux autres libertés, notamment de conscience, et puisqu’elle centre le débat sur les mineures, nous ne pouvons que lui opposer le droit des parents d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions, qui découle de la Déclaration universelle des droits de l’homme (article 26, §3), et qui est également appliqué par la Cour européenne des droits de l’homme, même si les Etats ont une marge d’appréciation. En effet, aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme, « l’Etat, dans l’exercice des fonctions qu’il assumera dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement, respectera le droit des parents d’assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques » (1er protocole, art.2).
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