Crédits photo : Gage Skidmore (CC 2.0)

« Ursula von der Leyen a outrepassé les traités en s’accaparant la voie diplomatique qui n’existe pas »

Création : 10 avril 2024

Cet article est une republication du 23 décembre 2023

Autrice : Norma Lambert, master droit de l’Union européenne, Université Paris-Est Créteil

Relectrice : Sarah Auclair, doctorante en droit européen, enseignante à l’Université Paris-Est Créteil

Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, enseignant à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye

Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani et Guillaume Baticle

Source : France 24, 10 avril 2024

Lors du débat sur France 24 et RFI du 10 avril 2024 en amont des élections européennes du 9 juin, la tête de liste Reconquête, Marion Maréchal, a accusé la présidente de la Commission européenne d’avoir agi sur la scène internationale sans y être autorisée par les traités européens.  Or Ursula von der Leyen a bien le droit d’agir, mais seulement dans les limites de ses attributions.

Le deuxième débat en vu des élections européennes, qui se tiendront le 9 juin, a eu lieu sur RFI et France 24 ce mercredi 10 avril 2024. Sur le plateau, l’invitée Marion Maréchal a fustigé l’action de la présidente de la Commission européenne dans le cadre du conflit israëlo-palestinien. La tête de liste de Reconquête ! a affirmé qu’Ursula von der Leyen avait outrepassé les traités en s’accaparant des voies diplomatiques qui n’existeraient pas. Or Ursula von der Leyen a bien le droit d’agir, mais seulement dans les limites de ses attributions. Nous vous proposons cet article publié le 23 décembre 2023 et qui expliquait les pouvoirs de la Commission en la matière.

« Sofagate », visite d’Ursula von der Leyen en Israël : l’Union européenne fait face à des controverses sur la manière qu’on ses représentants se comportent sur la scène internationale. Ses institutions qui œuvrent pour une intégration croissante entre ses États membres se trouvent actuellement au centre d’une tempête médiatique. La Commission européenne et le Conseil européen, sous la direction de personnalités telles qu’Ursula von der Leyen, Charles Michel, et Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, sont au cœur de vifs débats concernant leurs rôles respectifs à l’étranger.

Le 6 avril 2021, un incident, qualifié par la presse de « Sofagate« , s’est produit lors d’une rencontre en Turquie entre Ursula von der Leyen, Charles Michel, et le président turc, Recep Tayyip Erdoğan. Lors de cette réunion, Ursula von der Leyen a été invitée à s’asseoir sur un canapé, tandis que Charles Michel et Recep Tayyip Erdoğan occupaient les fauteuils centraux faisant face à la presse.  Cette situation a été perçue comme un manque de respect à l’égard de la presidente de la Commission et a alimenté les débats sur le protocole et la stature de l’Union. De telles discussions ont encore eu lieu plus récemment dans le contexte du conflit entre le Hamas et l’Etat d’Israël. Le déplacement de la présidente de la Commission européenne dans un kibboutz en Israël, avant le président du Conseil européen,  a en effet soulevé des questions.  Alors qu’Ursula Von der Leyen est souvent qualifiée d’hyperprésidente par les médias, il est essentiel de comprendre les fonctions distinctes de ces institutions.

Qui fait quoi dans ce labyrinthe institutionnel ?

Le Conseil européen 

Le Conseil européen, établi à Bruxelles, était depuis 1974 d’une simple réunion informelle, qui a été érigée en une institution clé de l’Union en 2009. Cette entité, composée des dirigeants des États membres ainsi que des présidents du Conseil et de la Commission européenne, se réunit au moins quatre fois l’an pour tracer les grandes lignes politiques de l’Union. Fonctionnant sur un mode de coopération tactique, le Conseil joue sur l’équilibre délicat du consensus et du compromis, surtout pour les décisions essentielles qui exigent l’unanimité.

À la tête de cette structure se trouve le président du Conseil européen, actuellement Charles Michel, élu à la majorité qualifée des chefs d’Etat ou de gouvernement des Etats membres. Il représente l’Union sur la scène internationale, surtout en matière de diplomatie et de sécurité. Chargé de définir les orientations politiques de l’Union, en coopération mais aussi en tension avec la Commission, il doit manœuvrer habilement entre les nécessités de consensus et les divergences nationales.

La présidence de la Commission européenne

Dominant le paysage européen depuis Bruxelles, la Commission européenne, créée en 1958, se dresse comme un pilier majeur de l’Union. Responsable de l’élaboration des lois qui seront ensuite amendées et adoptées par le législateur, responsable aussi de la bonne excécution du droit et de la représentation internationale de l’Union, elle parle d’une seule voix pour les États membres, notamment en commerce extérieur et aide humanitaire.

Elle est dirigée par la présidente Ursula von der Leyen, entourée de vingt-six commissaires et d’un vice président spécialement chargé des affaires étrangères : Joseph Borell, Haut réprésentant de l’Union. Le ou la présidente est élue par le Parlement européen sur recommandation du Conseil européen. Ursula von der Leyen avait été élue en 2019 par les députés européens, avec seulement 9 voix d’avance (383 voix).

 La vice-présidence de la Commission européenne

Le vice-président de la Commission européenne, Joseph Borrell agit sous l’autorité de la présidente von der Leyen. Mais il endosse également le costume de Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères. Ce cumul de fonctions, instauré en 1997 et renforcé par le Traité de Lisbonne, place Borrell au cœur de la politique extérieure, de sécurité et de défense de l’UE. Une fonction donc en concurrence directe avec celle d’Ursula von der Leyen et de Charles Michel. En France aussi, ces trois personnages existent : président de la République, Première ministre et ministre des Affaires étrangères ont tous trois une responsabilité en matière diplomatique. Mais dans le système français, l’autorité du président de la République fait que les deux autres se soumettent le plus souvent à son arbitrage.

Dans l’Union européenne, Charles Michel n’a pas la même autorité qu’Emmanuel Macron en France, n’étant pas directement élu par les Européens, et il fait face à Ursla von der Leyen, qui elle est bien élue par le Parlement européen et dispose donc de la légitimité la plus forte.

Comment se combinent ces trois fonctions sur la scène internationale ?

La confusion entre les rôles d’Ursula von der Leyen, Charles Michel et Joseph Borrell éclatent au grand jour lorsqu’ils affichent leurs divergences sur des questions clés, telles que le conflit israélo-palestinien ou la guerre en Ukraine. Alors que certains défendent le droit d’Israël à se défendre contre des attaques, d’autres soulignent les droits des Palestiniens, insistant sur la nécessité de respecter le droit international.  Cette dissonance s’explique sur le plan juridique par le fait que l’Union européenne fonctionne sur la base d’une coopération loyale entre ses diverses institutions, et non sur un mode strictement hiérarchique. Le traité sur l’Union européenne prévoit que chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées mais qu’elles pratiquent entre elles une coopération loyale.  De plus, aucune entité, y compris la Commission européenne, le Conseil européen et le Haut représentant, ne détient un domaine exclusif de compétence. Cet équilibre des pouvoirs est conçu pour favoriser une approche collaborative et intégrée, mais il peut également être source de confusion.

Dans cet échiquier institutionnel, Charles Michel, en tant que président du Conseil européen, privilégie les intérêts nationaux, contrastant parfois avec les approches d’Ursula Von der Leyen et Joseph Borrell. Von der Leyen, à la tête de la Commission, jongle entre les aspirations des États membres et une vision globale pour l’Union – n’oublions pas qu’elle est responsable politiquement devant le Parlement européen, qui représente les citoyens de l’Union –, tandis que Josep Borrell, avec sa double casquette, tente d’allier la politique interne et le rayonnement international de l’Union. Mais, cette double responsabilité, bien que visant à harmoniser les actions internes et externes de l’Union, peut conduire à des prises de positions divergentes, en particulier dans des situations géopolitiques tendues.

Pas d’empiètements, mais une compétence partagée

Ainsi, il faut distinguer les prises de positions politiques de ces personnages et les compétences juridiques officielles des institutions qu’ils représentent. Bien que des voix divergentes puissent se faire entendre sur des sujets sensibles, il est erroné de percevoir ces différences d’opinion comme un empiètement des uns sur les compétences des autres. La visite d’Ursula von der Leyen en Israël en est un parfait exemple. Un haut fonctionnaire de l’UE, souhaitant rester anonyme, a souligné le besoin d’unité malgré des opinions divergentes. Concernant les compétences d’Ursula von der Leyen, il rappelle que la politique étrangère est d’abord du ressort des États membres. Les déclarations des représentants de l’Union, bien qu’exprimant des positions politiques, ne franchissent pas les limites de leurs compétences légales. La Commission européenne a soutenu le voyage d’Ursula von der Leyen en Israël, affirmant qu’il entrait  dans ses prérogatives.

Cette situation met en lumière les nuances – voire le flou – de la gouvernance de l’Union, au sein de laquelle s’expriment des opinions divergentes sans pour autant enfreindre les textes et protocoles institutionnels.

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