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Hôtel de ville de Noyon (Oise) (Photo : Daniel VILLAFRUELA, CC BY 4.0)

Une maire peut-elle rendre un excédent de taxe aux habitants ?

Création : 23 décembre 2025

Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Relecteur : Franck Waserman, professeur de droit public à l’Université Littoral Côte d’Opale

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle, journaliste, doctorant en droit public à l’Université de Poitiers

Source : Le Courrier Picard, 14 décembre 2025

Présentée comme un geste pour les contribuables, la “compensation exceptionnelle” promise par la mairie de Noyon après la hausse de la taxe foncière apparaît surtout comme une annonce juridiquement impossible.

Un cadeau de Noël de la part de la maire ? À en croire le Courrier Picard et Oise Hebdo, la commune de Noyon (Oise) entend, par une délibération municipale, adopter le principe de « faire verser par la commune des sommes à chaque propriétaire de biens immobiliers ayant subi la hausse de 3,5 points des taux communaux des taxes foncières, annoncée fin octobre », sous forme de « compensation exceptionnelle ».

En clair, le budget de la ville pour 2025, adopté en avril de la même année, prévoyait une hausse de la taxe foncière de 3,5 % sur la part communale. Cette hausse, la maire n’en voulait pas (l’année précédant les élections municipales, cela se comprend !), mais elle a été imposée par les services préfectoraux en vertu du code général des collectivités territoriales (CGCT). 

En effet, une commune, contrairement à l’État, doit voter un budget annuel en équilibre, c’est-à-dire que tant la section d’investissement que la section de fonctionnement doivent présenter un solde positif ou nul. La loi qualifie cette obligation « d’équilibre réel » (article L. 1612-4 CGCT), qui suppose notamment que les « les recettes et les dépenses (ont) été évaluées de façon sincère ».

Mais il peut arriver qu’un budget local soit voté dans un équilibre qui n’est qu’apparent : les recettes sont surestimées, ou les dépenses sous-estimées, de manière à masquer la réalité, à savoir un déficit lié à une mauvaise gestion ou toute autre cause. 

En cas de doute sur la sincérité d’un budget communal, l’article L. 1612-5 du CGCT prévoit que le préfet peut saisir la chambre régionale des comptes, laquelle, « constate » le déséquilibre et « propose […] les mesures nécessaires au rétablissement de l’équilibre budgétaire ». Si la chambre propose une hausse du taux d’imposition, c’est ensuite au conseil municipal d’en voter le principe. 

C’est ce qui s’est passé en avril 2025 pour la ville de Noyon, à cela près que le conseil municipal avait refusé de voter la hausse. Qu’à cela ne tienne, le même article L. 1612-5 prévoit que « le budget est réglé et rendu exécutoire par le représentant de l’État dans le département », avec la hausse proposée par la chambre régionale des comptes. Autrement dit, le préfet a lui-même modifié et rendu le budget exécutoire. C’est ce que l’on appelle une inscription d’office.

De la « com » ? 

En compensation, la commune annonce, peu avant Noël et les élections municipales, une « compensation exceptionnelle » dont « la mairie communiquera sur les modalités de versement ». On attend de voir… car il n’existe pas de modalités de reversement de l’impôt en dehors de quelques cas très strictement prévus par la loi. Il s’agit essentiellement des remboursements liés à des trop-perçus, autrement dit des erreurs ou des anticipations surestimées, ou des réductions appliquées après-coup. 

Ce sont les services fiscaux de l’État qui effectuent ces remboursements après vérification. Il peut également s’agir de remises accordées par les communes sur certaines de leurs créances (loyers, redevances, primes indûment versées aux agents, etc.), mais elles ne sont pas admises pour l’impôt.

Une annonce impossible à mettre en œuvre juridiquement

De plus, la taxe foncière est perçue par les services fiscaux de l’État pour le compte des collectivités territoriales, ce même État leur reversant ensuite l’argent récolté. Logiquement, l’État ne va donc pas accepter de verser cette compensation exceptionnelle, tout simplement parce qu’elle est illégale. 

Quant à la commune, elle ne peut procéder à des dépenses illégales : il en va de la responsabilité de son comptable (avec une amende possible) et de la maire qui le lui ordonnerait.

Si le conseil municipal devait malgré tout voter cette « compensation », sa délibération serait probablement déférée par le préfet au tribunal administratif d’Amiens, qui en suspendrait aussitôt l’application en quelques jours ou semaines.

Et même si le préfet n’agissait pas, laissant la délibération s’appliquer, n’importe quel administré, en tant que contribuable communal notamment, pourrait saisir le tribunal administratif d’un recours en annulation et d’un référé-suspension, avec toutes les chances de succès.

La maire serait de son côté susceptible de voir sa responsabilité engagée devant la Cour des comptes, au titre d’une infraction aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses figurant au code des juridictions financières (article L.131-9).

Cela précisé, il y aurait bien un moyen légal de revenir sur les 3,5 % de hausse du taux : le conseil municipal pourrait voter pour 2026, en donc en janvier-mars 2026, une baisse de taux suffisante pour compenser la hausse a posteriori.

À condition que l’équilibre du budget pour 2026 soit assuré et de manière sincère, condition loin apparemment d’être remplie. Reste que les élections municipales seront passées…

 

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