Une Constitution européenne a-t-elle été adoptée de manière “forcée” en 2008 ?
Auteur.es : Lili Pillot, journaliste et Vincent Couronne, docteur en droit européen, enseignant à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Hugo Guguen, juriste
Source : Compte Facebook, le 9 septembre 2024
Sur les réseaux sociaux, des internautes attribuent au Premier ministre Michel Barnier, d’avoir contribué à l’adoption “forcée” de la Constitution européenne en 2008. Mais, juridiquement, aucune Constitution européenne n’a été adoptée en dehors du jeu démocratique.
C’est une critique sur l’Union européenne qui revient régulièrement sur le devant de la scène : les Français auraient été spoliés en 2008 lorsque le traité de Lisbonne a été adopté, sans passer par la case référendum.
En 2024 toujours, des internautes continuent de s’en indigner. À l’occasion de la nomination de l’ancien commissaire européen Michel Barnier comme Premier ministre, certains veulent souligner qu’il aurait “participé à la rédaction de la constitution européenne et concouru à son adoption forcée en 2008 malgré le rejet du traité de Lisbonne en 2005 par référendum”.
Au-delà de savoir si Michel Barnier a eu une quelconque influence sur cet épisode de l’histoire, notre internaute fait une confusion : dire que l’adoption de la Constitution européenne a été forcée est une affirmation à tout le moins critiquable.
L’internaute ajoute que ce texte constitue “des pertes de souveraineté de la France au profit de l’UE. À commencer par la question de l’immigration et de la politique monétaire”, précise-t-il. Des approximations sur lesquelles Les Surligneurs se sont déjà penchés. Mais qu’il est toujours bon d’actualiser.
Des différences entre le traité de Lisbonne et le projet de Constitution
Revenons au 29 mai 2005. Ce jour-là, plus de 54,67 % des votants – pas uniquement des Français comme affirmé dans la vidéo – choisissent le “non” à la question posée par référendum : “Approuvez-vous le projet de loi qui autorise la ratification du traité établissant une Constitution pour l’Europe ?”. Aux Pays-Bas, les électeurs apportent la même réponse. Faute d’unanimité au sein de l’Union, le projet est abandonné.
Deux ans plus tard, le président de la République de l’époque Nicolas Sarkozy signe, avec les autres États membres de l’UE, le traité de Lisbonne, conformément à sa promesse électorale et avec le soutien de l’Assemblée nationale tout juste élue et du Sénat.
Le texte, bien que proche du projet de traité établissant une Constitution européenne, est à certains égards différent. Des éléments ont disparu. Par exemple, il n’est plus question d’utiliser les termes de “constitution” ou de “loi”, ni de créer une fonction de ministre des Affaires étrangères propres à l’UE. Les termes rappelant trop les fonctions d’un État ont disparu. Il n’y a plus de confusion sur la nature de l’UE comme rappelé dans un podcast des Surligneurs.
Passage en force ?
Pourtant, beaucoup voient l’adoption de ce traité comme un passage en force, estimant que le traité de Lisbonne est un copié-collé du projet de Constitution. Mais ce n’est pas tout à fait vrai. D’importants éléments ont été expurgés du texte.
Dans une note publiée en 2007, l’université de Liège, en Belgique, a effectué une comparaison article par article entre le projet de Constitution européenne et le traité de Lisbonne.
Si la plupart des dispositions ont été reprises, le traité de Lisbonne a redonné du pouvoir aux Parlements nationaux en comparaison au projet critiqué de Constitution. Par exemple, l’article 3 ter, renforce le rôle des Parlements nationaux dans le fonctionnement de l’Union européenne.
Débat toujours en cours
Pour autant, les traités européens ont une haute valeur juridique. Presque… constitutionnelle ! En 1986, déjà, la Cour de justice des Communautés européennes – aujourd’hui Cour de justice de l’Union européenne – avait affirmé que les traités formaient une “charte constitutionnelle”.
D’ailleurs, le “droit constitutionnel de l’Union européenne” s’enseignait dans certaines facultés de droit bien avant le projet de Constitution européenne. Et ce n’est pas parce qu’il y a le traité de Lisbonne que la controverse a pris fin : on trouve aujourd’hui d’importants travaux de recherches qui se réclament du “droit constitutionnel” de l’UE, comme cet ouvrage récent du professeur de droit Édouard Dubout, spécialiste du sujet.
En réalité, le débat court toujours chez les spécialistes du droit. Il n’empêche qu’affirmer, comme le fait notre internaute, qu’une Constitution européenne a été imposée aux Français est, a minima, très imprécis, au pire, erroné.
Une erreur dans ce contenu ? Vous souhaitez soumettre une information à vérifier ? Faites-le nous savoir en utilisant notre formulaire en ligne. Retrouvez notre politique de correction et de soumission d'informations sur la page Notre méthode.