Un maire peut-il suspendre toute règlementation sur le stationnement pour permettre au Père Noël de circuler “comme bon lui semble” ?
Republication d’un article du 3 décembre 2020
Auteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
En décembre 2020, le maire de Ploemeur avait pris un arrêté autorisant une telle chose le jour du 24 décembre. Supposons que le père Noël existe. Le maire de Ploemeur suspend par arrêté toute restriction aux règles de circulation et de stationnement pour lui permettre de mieux distribuer ses cadeaux. Il pourra circuler à contresens et stationner son traineau n’importe où. C’est contraire au principe d’égalité entre les citoyens, à moins de considérer que le père Noël est investi d’une mission d’intérêt général. Est-ce le cas ? C’est à l’autorité locale d’en décider, et l’arrêté du maire de Ploemeur est convaincant de ce point de vue lorsqu’il invoque “le droit de rire et de s’amuser” : une commune est dans son rôle lorsqu’elle promeut des activités contribuant à la bonne humeur des administrés, même si cela a pu indigner de très anciens juristes un tantinet conservateurs.
Attention toutefois à ne pas faire du père Noël un service public. Examinons les critères classiques du service public enseignés aux étudiants et définis par le juge. Son activité est totalement désintéressée voire redistributrice, mais ce n’est pas suffisant pour en faire un service public, sinon les Restos du Cœur en seraient un. À en croire les spécialistes (Martyne Perrot), le père Noël a été créé par un pasteur (Clément Clarke Moore) en 1822 sous forme de poème. Donc pas de personne publique à l’origine de cette création, ni de soumission du père Noël à un contrôle de l’administration. Enfin, pas non plus de prérogatives (ou pouvoirs) de puissance publique, si ce n’est ce monopole du père Noël, qui ne lui est disputé que par Saint Nicolas dans quelques contrées, par Hanoukka qui certaines années tombe en même temps, et par quelques politicien(ne)s qui promettent que demain on rasera gratis. L’activité de père Noël n’est donc pas un service public, au contraire des festivités organisées par la commune pour l’accueillir par exemple.
L’arrêté du maire de Ploemeur se garde d’ailleurs bien de faire du père Noël un agent du service public, reconnaissant au personnage cette autonomie, voire cette immunité qui le soustrait même à la loi pénale sur la violation de domicile. Tant mieux, car s’il s’agissait d’un service public il faudrait alors le subventionner (le costume redessiné par Coca-Cola dans les années 1930 commence à dater) et la commune serait responsable de tout accident ou abus (et s’il buvait pendant sa tournée ?).
Conçu comme fantaisiste, l’arrêté est aussi drôlement illégal : permettre au père Noël de circuler « comme bon lui semble » (article 1er) pose problème car un maire ne peut alléger une réglementation nationale, par exemple sur la vitesse ou le stationnement, et cela depuis une jurisprudence de 1919. On l’avait déjà rappelé pour ces maires qui ont autorisé l’ouverture des commerces pendant le confinement. Si on ajoute à cela l’absence de date et de mention du signataire de l’arrêté, l’atteinte à la liberté des enfants d’aller vérifier par eux-mêmes à minuit l’authenticité du récit (article 3), et l’interdiction de tout recours contre ce même arrêté (article 5) qui est contraire à la Constitution et à la Convention européenne des droits de l’homme, une vraie dictature de l’amusement s’instaure à Ploemeur.
Alors, profitez-en Plœmeuroises, Plœmeurois, car un tel arrêté ne sera plus possible lorsque la loi sur les séparatismes aura été votée : créer de de telles dérogations aux lois républicaines en faveur de pratiques dérivées d’une croyance (c’est bien une croyance, non ?), devrait obliger les préfets à intervenir, et ils seront investis pour cela de nouveaux pouvoirs de suspension d’office des actes municipaux. En attendant, joyeux noël !
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