Un maire a-t-il le droit d’interdire des drapeaux palestiniens dans la rue ?
Dernière modification : 13 juin 2025
Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public, université de Poitiers
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Clara Robert-Motta, journaliste
Source : Arrêté municipal de Chalon-sur-Saône, le 2 juin 2025
À Chalon-sur-Saône, le maire, Gilles Platret, a pris un arrêté, le 2 juin dernier, afin d’interdire l’usage de drapeaux palestiniens après des débordements liés à la victoire du PSG. Une décision contestée, dont la légalité interroge au regard de la liberté d’expression.
Après des débordements en marge des célébrations de la victoire du Paris Saint-Germain ce samedi 31 mai, le maire de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) a pris un arrêté municipal afin d’interdire de façon temporaire les drapeaux palestiniens dans la rue — soit également, dans les manifestations.
L’édile, Gilles Platret, explique vouloir ainsi « rétablir l’ordre public ». « Qu’on défende certaines causes, c’est la liberté de chacun, sauf que cet étendard, ce drapeau-là, a servi de point de ralliement dans le cadre d’une véritable émeute urbaine », a-t-il dit au micro de France Bleu.
Déjà annoncé dans un communiqué publié dimanche 1er juin, l‘arrêté municipal pris le 2 juin 2025 liste plusieurs justifications. « Considérant qu’il est manifeste que le drapeau palestinien sert d’étendard à des groupes organisés pour semer le désordre et le trouble de l’ordre public », développe notamment l’arrêté.
Le maire de la ville a donc interdit « d’utiliser de manière ostentatoire le drapeau palestinien dans l’espace public », de l’afficher « en façade des immeubles et de manière visible de l’espace public », ainsi que de « proposer à la vente le drapeau palestinien sur les marchés ambulants ». Et ce pour une durée de trois mois.
Mais de telles interdictions sont-elles légales ?
L’interdiction des drapeaux : erreur de cible
Ce n’est pas la première fois qu’un maire interdit des drapeaux dans la rue. En 2014, à l’occasion de la Coupe du monde de football, Christian Estrosi, maire de Nice, avait interdit les drapeaux étrangers sur la voie publique. Une décision annulée par le tribunal administratif.
Or, selon le juge, si le maire doit effectivement prendre des mesures pour protéger l’ordre public, « il ne peut, toutefois, prendre une mesure comme l’interdiction de drapeaux étrangers qui n’est pas, en elle-même, nécessaire ni proportionnée à la sauvegarde de l’ordre public ».
Comment un drapeau placé sur un balcon, par exemple, pourrait-il troubler l’ordre public, alors qu’on a vu plein de drapeaux ukrainiens sur les façades des immeubles et dans la rue ? Le problème n’est pas le drapeau mais potentiellement celui qui le brandit et l’usage qu’il en fait, ou encore les réactions qu’il suscite.
Le maire de Chalon-sur-Saône se trompe de cible. Le drapeau palestinien n’est pas en soi porteur d’appels à troubler l’ordre public ou à commettre des délits, au contraire d’autres drapeaux comme des emblèmes nazis, qui sont effectivement en eux-mêmes porteurs d’incitations à la haine, et qui peuvent donc être interdits.
L’interdiction systématique des manifestations avec des drapeaux palestiniens : illégal !
En interdisant « d’utiliser de manière ostentatoire le drapeau palestinien », l’arrêté semble également chercher à brider les manifestations pro-palestiniennes. Car les manifestations s’accompagnent souvent de banderoles, de pancartes et… d’une flopée de drapeaux.
Or, Les Surligneurs ont déjà pu le dire à de nombreuses reprises, il n’est pas possible d’interdire par principe tel ou tel type de manifestation, ce serait une atteinte à la liberté d’expression, dont fait partie la liberté de manifestation.
L’interdiction ne peut être prononcée que si trois conditions sont réunies : elle doit être nécessaire au vu des circonstances locales, ce qui se décide au cas par cas. L’interdiction doit être la seule mesure adéquate, au sens où elle doit permettre d’éviter le trouble (ce qui est le cas lorsqu’est interdite une manifestation porteuse de troubles). Enfin, l’interdiction doit être proportionnée au sens où elle serait le seul moyen d’éviter le trouble à l’ordre public. Cette proportionnalité s’évalue là encore au cas par cas, jamais de façon systématique.
Surtout, ces interdictions sont prononcées au cas par cas selon les circonstances et les risques de troubles, au fur et à mesure des déclarations faites par les organisateurs. Ce ne sont jamais des interdictions générales et absolues, par principe : l’interdiction prononcée en l’occurrence confine à la censure, elle paraît disproportionnée.
L’avocate de la commune de Chalon, Julie Callot, a néanmoins affirmé au journal Le Monde que cet arrêté « interdit l’usage du drapeau à titre ostentatoire », mais qu’ « on peut tout à fait manifester sans l’arborer ». Ou comment arborer sans ostentation, ce qui tient de l’oxymore.
Pas dupe, le tribunal administratif de Dijon a suspendu l’arrêté, le 4 juin dernier, jugeant l’interdiction disproportionnée au regard des libertés d’expression et d’entreprendre (pour les commerçants concernés).
[Rectificatif : L’article a été modifié le 13 juin 2025 suite à une méprise de notre part. Les Surligneurs avaient écrit que l’arrêté interdisait également la tenue de manifestations pro-palestiniennes. Or, l’arrêté du 2 juin ne portait que sur l’utilisation de drapeaux palestiniens — notamment utilisés « de manière ostentatoire » — et non pas sur une interdiction des manifestations dites comme telles.
Ajout de la décision du tribunal administratif de Dijon.]