Un faux rapport attribué à Harvard sème la confusion sur les morts à Gaza
Auteur : Etienne Merle, journaliste
Relectrice : Maylis Ygrand, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : Non
Secrétariat de rédaction : Clarisse Le Naour, double cursus L3 science politique et L3 droit public à l’université Lumière Lyon II
Source : Compte Instagram, le 23 juillet 2025
Des publications virales sur les réseaux sociaux affirment qu’une étude de l’université de Harvard confirme la mort ou la disparition de près de 400.000 Palestiniens. Problème : aucune publication de ce type n’existe. L’information provient d’une déformation des données d’un chercheur affilié à une autre institution.
Un chiffre glaçant et un nom prestigieux. « Selon une étude de l’université d’Harvard il y a plus de 400.000 morts à Gaza dont ‘80% sont des bébés des enfants (sic)' », écrit un internaute sur son compte Instagram. D’autres évoquent un chiffre de « 377.000 disparus ». Alors que des voix s’élèvent pour qualifier l’intervention israélienne de génocide, le post a été largement partagé et vu plus de 500.000 fois.
Dans d’autres publications presque identiques, un certain professeur Yaakov Garb y est cité comme auteur du rapport. L’implication supposée de l’université de Harvard semble donner à cette information une crédibilité difficile à contester. Pourtant, la réalité est tout autre.
Aucune étude validée par Harvard
En effet, malgré nos recherches, Les Surligneurs n’ont trouvé aucune étude officielle publiée par Harvard concernant une estimation de près de 400.000 morts à Gaza depuis le début du conflit en octobre 2023. Ni les bases de données DASH (Harvard), ni de PubMed, ni Google Scholar n’en font mention.
Ce qui existe, en revanche, c’est une étude signée par le chercheur Yaakov Garb, hébergé sur Harvard Dataverse, une base de données ouverte à tous les chercheurs, qu’ils soient ou non affiliés à l’université. Or, cette plateforme ne procède à aucune vérification ou validation scientifique des documents déposés.
Dans cette étude, ni le chiffre de 400 000 morts ou disparus, ni celui de 377 000 n’apparaissent. Interrogé par nos confrères d’Associated Press, qui se sont également penchés sur le sujet, Yaakov Garb, qui enseigne à l’université Ben Gourion du Néguev en Israël, a formellement nié être à l’origine de ces chiffres. « Si quelqu’un m’avait interrogé sur ces chiffres, j’aurais immédiatement rétabli la vérité », a-t-il précisé.
Mauvaise interprétation sur un blog
Et pour cause, l’étude du chercheur ne porte pas sur le nombre de morts ou disparus, mais analyse les difficultés liées aux centres de distribution d’aide humanitaire à Gaza.
Le chiffre de « 377.000 Gazaouis disparus » a été inventé dans un article de blog sur Medium, comme ont pu le démontrer plusieurs médias français : France 24, Libération ou encore 20 Minutes.
Son auteur a tenté de déduire ce nombre à partir des cartes publiées dans l’étude de Yaakov Garb, qui montrent la répartition de la population dans trois zones appelées « clusters » sur le territoire gazaoui. Ces zones comprenaient environ 1,85 million d’habitants selon ces cartes : Gaza City avec 1 million, la région côtière d’Al-Mawasi avec 500.000, et le centre de Gaza avec 350.000.
L’internaute a alors comparé ce total à la population totale de Gaza avant le 7 octobre 2023, estimée à 2,227 millions par le Bureau central palestinien des statistiques. En soustrayant 1,85 million de 2,227 millions, il a conclu que 377.000 personnes « manqueraient à l’appel ».
Cependant, Yaakov Garb a signalé une erreur dans les chiffres de la carte : selon lui, la population d’Al-Mawasi est en réalité de 700.000 habitants, et non 500.000 comme indiqué. Avec cette correction, la population totale dans les trois zones s’élève à approximativement 2,05 millions, réduisant fortement la différence avec la population totale initiale.
Des chiffres bien inférieurs, mais tout aussi alarmants
Reste qu’il est indéniable que le conflit à Gaza a entraîné un lourd bilan humain, notamment parmi les civils. Toutefois, les chiffres les plus récents, bien que toujours préoccupants, sont éloignés des 400 000 décès évoqués sur certains réseaux sociaux.
Selon les données les plus récentes communiquées par le ministère de la Santé de Gaza, au 23 juillet 2025, au moins 59 219 Palestiniens ont été tués et 143 045 ont été blessés depuis le 7 octobre 2023.
Le ministère signale également une hausse inquiétante du nombre de victimes parmi les personnes tentant d’accéder à l’aide humanitaire : 1 060 morts et plus de 7 207 blessés ont été recensés depuis le 27 mai 2025.
Bien que les chiffres mentionnés ci-dessus fassent régulièrement l’objet de critiques en raison des liens entre le ministère de la Santé de Gaza et le Hamas, ils sont jugés crédibles par de nombreux acteurs indépendants. Par ailleurs, plusieurs études estiment que ces chiffres sont en réalité sous-estimés, compte tenu des conditions extrêmes sur le terrain et des difficultés de collecte des données.