Un exemple sidérant d’absence d’État de droit et la raison d’être des Surligneurs
Auteur : Jean-Paul Markus, directeur de la rédaction des “Surligneurs”, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani
Dans une tribune pour “Les Surligneurs”, le directeur de la rédaction, Jean-Paul Markus, réagit à la vidéo montrant le chef présumé du groupe russe Wagner recruter des prisonniers pour aller se battre en Ukraine, et nous rappelle un fait simple : sans État de droit, c’est le règne de l’arbitraire, où personne n’est plus à l’abri de la volonté changeante d’un chef.
Dans une vidéo devenue virale, le chef présumé du groupe Wagner (milice armée russe opérant notamment au Mali et en Centrafrique), tente de recruter de nouveaux soldats pour le front ukrainien, dans une prison russe. Il offre aux détenus entre 22 et 50 ans la liberté s’ils acceptent de combattre six mois en Ukraine, si bien sûr ils survivent. Mais s’ils désertent durant ces six mois, ce sera l’exécution.
RFI fournit quelques extraits traduits, notons celui-ci : “Si vous voulez sortir de prison maintenant, vous le pouvez, en échange de quoi vous devez donner six mois de votre temps pour participer à l’effort de guerre sur le front ukrainien” (il a dit “guerre” au lieu “d’opération spéciale”, mais il ne sera pas inquiété pour autant).
Ou encore celui-là : “Le premier péché, c’est déserter. Personne ne tombe. Personne ne bat en retraite. Personne ne se constitue prisonnier, poursuit l’homme. Lors de votre entraînement, on vous parlera de deux grenades que vous devrez avoir sur vous lorsque vous vous rendez. Personne ne retourne en prison. Vous passez six mois sur le front et vous rentrez chez vous, graciés. Ceux qui veulent rester le peuvent. Ceux qui changent d’avis le premier jour, on les considère déserteurs et on les exécute”.
Analysons cette “offre” en détail et reconstituons la scène. Un “type” sans titre officiel – le groupe Wagner n’existe pas officiellement en Russie, où les milices privées sont interdites – arrive dans une prison où le directeur et les personnels l’ont laissé entrer grâce à on ne sait quel laissez-passer non officiel. Il réunit les prisonniers dans la cour : il a donc donné des ordres non officiels en ce sens puisqu’il n’existe pas, ordres que le directeur officiel a exécutés. Il harangue une foule de détenus sous bonne garde du personnel pénitentiaire au garde à vous et promet :
- de les faire sortir aussitôt s’ils s’engagent dans l’armée. Exit donc le juge d’application des peines qui dans toute démocratie veille à ce que les condamnations de justice pénales soient bien exécutées ou aménagées en cas de bonne conduite, et qui incarne l’indépendance de la justice. Une secrétaire du groupe Wagner lui fera peut-être signer un bordereau de régularisation après la guerre.
- qu’après six mois de front ils seront libres s’ils survivent, et graciés. On a donc créé un nouvel aménagement de peine, une “grâce” sortie de nulle part, en faveur de détenus qui ont peut-être tué ou violé. Car on n’imagine pas qu’un détenu condamné à une peine courte pour une infraction mineure s’engagerait en Ukraine. Le public visé serait le prisonnier qui en a “pris pour longtemps” et qui saisit l’occasion de sortir.
Puis viennent les conditions de l’engagement, le chef prévient solennellement :
- Si un prisonnier libéré est défait sur le front par les ukrainiens, il doit se faire sauter. Apparemment, à en croire ce qui se passe sur le front lorsque les forces russes sont défaites, les soldats se retirent et ne se lancent pas dans une opération suicide. Nous avons donc affaire à une classe de soldats au régime juridique totalement dérogatoire, dans une armée parallèle, sans foi mais surtout sans loi.
- Les déserteurs, “on les exécute”. Procès préalable ? Pour quoi faire ? Droits de la défense ? Hein ? Principe de légalité des peines ? Ben quoi, on a prévenu ! Individualisation et proportionnalité des peines ? Détails !
Si un jour cela arrivait en France, cela signifierait que nous avons sombré dans une dictature pure et dure, où l’arbitraire a remplacé l’État de droit. Et Les Surligneurs ne seraient plus là pour le dire.
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