Un couvre-feu a-t-il vraiment été mis en place en Israël après des révoltes anti-régime ?
Dernière modification : 7 mai 2024
Autrice : Sasha Morsli Gauthier, étudiante à Sciences Po Paris
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Antoine Mauvy
Source : Compte Facebook, 28 avril 2024
Selon une vidéo visionnée plusieurs centaines de milliers de fois, Israël subirait une révolte du peuple israélien. L’État hébreu aurait réagi par la mise en place d’un couvre-feu. Mais ces affirmations s’appuient sur une vidéo… de supporters d’un club de football.
“Tel Aviv sombre ce soir dans le chaos.” C’est ce qu’on peut lire en description d’une vidéo qui circule depuis quelques jours sur les réseaux sociaux.
On y voit des personnes tentant de s’introduire de force dans un lieu qui s’apparente à un hall de bâtiment. Depuis l’intérieur de celui-ci, deux hommes repoussent la foule à coups de pieds.
Selon ces publications, qui comptabilisent parfois près de 380 000 vues, “des dizaines de milliers de manifestants veulent la chute du Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu.” Israël serait “en état d’alerte générale“, et un “couvre-feu” aurait été décrété dans le pays. Certains posts font même état d’un “jugement divin“ face à la situation.
Et pourtant, il n’en est rien. Les Surligneurs ont mené l’enquête sur cette fausse information, pour le moins préoccupante.
Pas de couvre-feu, ni de mesures spécifiques
Pour le savoir, nous avons commencé par lire la presse israélienne. Et celle-ci est sans équivoque : ni les journaux, ni les autorités ne font état d’une alerte ou d’un couvre-feu dans le pays. Il faut dire qu’une telle information serait difficilement passée inaperçue dans un contexte de tensions globales vis-à-vis de la politique menée à Gaza par l’État hébreu.
Cette “non-information” nous a par ailleurs été confirmée par nos confrères sur place. Éléonore Weil, journaliste basée à Tel Aviv – lieu de la supposée révolte – assure qu’ “il n’y a pas de couvre-feu ni de consignes particulières” à ce jour.
Interrogé par Les Surligneurs, le journaliste franco-israélien et ancien porte-parole de l’armée israélienne Julien Bahloul approuve : “Il ne se passe rien du tout.” Difficile de faire plus clair.
En effet, les dernières interdictions de circuler imposées à la population israélienne remontent à 2022, alors que le pays observait une recrudescence des cas de contamination à la covid-19.
Mais alors, d’où vient cette vidéo ?
Un match de football qui tourne au vinaigre
En remontant la chaîne de partages, on découvre que le post initial, mis en ligne le 27 avril, provient du compte X “Le Rifain la nouvelle du front.” Contacté, le compte totalisant plus de 37 000 abonnés n’a pas répondu aux sollicitations des Surligneurs.
Accolée à la publication, une “Note de la Communauté“, c’est-à-dire un commentaire d’utilisateur qui permet de contextualiser un post potentiellement trompeur, précise : “Fake news. Cette vidéo utilisée par un compte familier des fake news ne porte pas sur une insurrection en Israël, mais montre les supporters de l’Hapoel Tel Aviv tentant de s’introduire dans le vestiaire des joueurs de leur équipe après la défaite face au Beitar Jérusalem.”
Ainsi, la vidéo ne montrerait pas une contestation de la population israélienne, mais plutôt des supporters telaviviens en colère après une défaite de leur équipe.
C’est effectivement ce qu’on constate lorsqu’on clique sur le lien associé à la note. Il renvoie à une publication Instagram du compte “Push“, qui relaie l’actualité israélienne, et qu’on retrouve sur sa page Facebook sous forme de “reel”.
Sur la vidéo et en description du post, on lit, en hébreu : “אוהדי הפועל ת״א מנסים לפרוץ לחדר ההלבשה של שחקני קבוצתם בעקבות התבוסה לקבוצת בית״ר ירושלים” (en français : “Les fans de l’Hapoel Tel Aviv tentent de pénétrer dans le vestiaire des joueurs de leur équipe suite à la défaite contre l’équipe de Beitar Jérusalem“).
En visionnant la vidéo en question, l’ex porte-parole de Tsahal Julien Bahloul est catégorique : “En effet [il s’agit de] supporters de foot“. “Certains des supporters de cette équipe ont déjà été sanctionnés pour des comportements similaires“, explique de son côté l’ancienne journaliste du quotidien Haaretz.
Il faut dire que les épisodes de violences après des matchs de football, notamment entre l’Hapoel Tel Aviv et le Beitar de Jérusalem, ne sont pas choses nouvelles.
Un article de presse du site d’information israélien Now 14 mentionne également l’événement : “Après la défaite contre le Beitar de Jérusalem, les fans de Hapoel Tel Aviv ont essayé de pénétrer dans le stade Bloomfield à travers le complexe VIP et ont confronté les gardes de sécurité qui étaient là.”
Une recherche Google de la rencontre sportive nous permet de constater qu’un match du championnat national de football opposant les deux clubs a bien eu lieu, samedi 27 avril 2024. Un match de barrage décisif, à l’issue duquel l’Hapoel Tel Aviv s’est incliné 5 buts à 1. La rencontre s’est déroulée au Bloomfield Stadium, situé dans le quartier de Jaffa au sud-ouest de Tel Aviv.
L’habit fait le moine
Afin de corroborer cette source, penchons-nous sur la vidéo elle-même. Les individus qui semblent vouloir en découdre arborent quasiment tous un haut rouge et blanc, couleurs officielles de l’équipe telavivienne. Des maillots ressemblant très fortement à ceux vendus sur le site officiel du club. Un premier indice, mais allons plus loin.
Sur les t-shirts des hommes qui tentent de repousser la foule en colère, on distingue les initiales “T.Q.S.” Le groupe T.Q.S est une entreprise israélienne spécialisée dans la prestation de services de sécurité. Leur site internet précise d’ailleurs que “Le club de football Hapoel Tel Aviv reçoit des services […] au stade Bloomfield à Jaffa.” De plus, les images du site montrent les mêmes hauts que ceux portés par les agents de sécurité sur la vidéo.
Nous avons donc effectivement affaire à des heurts suite à une défaite amère du club de football local, et non à une situation de “chaos” qui planerait en Israël.
Des manifestations bien réelles
Toutefois, le pays reste bel et bien confronté à de nombreuses manifestations depuis l’attaque terroriste perpétuée par le Hamas, le 7 octobre 2023.
Des protestations hostiles au régime “de plus en plus virulentes“, indique Éléonore Weil, “notamment autour des négociations en vue d’un accord entre Israël et le Hamas.” Le 6 mai dernier, des centaines d’Israéliens se sont rassemblés dans tout le pays pour dénoncer la politique de Benyamin Netanyahu aux dépens des otages retenus à Gaza.
Somme toute, si des “affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ont parfois lieu lors de ces événements“, comme l’affirme Julien Bahloul, la situation actuelle reste loin du soulèvement populaire ou de la révolution.
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