“Tu casses, tu répares. Tu salis, tu nettoies” : le candidat LREM en Île-de-France ne pourra pas se substituer au juge pour imposer des travaux d’intérêt général

Création : 17 juin 2021
Dernière modification : 22 juin 2022

Auteur : Paul Bruna, rédacteur

Relecteur : Amaury Bousquet, avocat au barreau de Paris

Source : Programme de la liste Envie-d’Île-de-France

La région a certes la possibilité d’inscrire des travaux d’intérêt général (nettoyage d’une rue, réparation de mobilier urbain…) sur une liste, mais c’est le juge et lui seul, lorsqu’il prononce la peine à l’encontre des auteurs des dégradations, qui décidera s’il souhaite y recourir ou non.

Dans le programme de la liste LREM, emmenée par le député Laurent Saint-Martin, aux élections régionales, on peut lire : “Nous instituerons une politique de TIG ‘Tu casses, tu répares. Tu salis, tu nettoies‘ dans les transports en commun et les lycées afin de lutter plus efficacement contre les incivilités et les dégradations”. Or, c’est délicat : la région peut certes proposer des travaux d’intérêt général, mais elle ne peut en aucun cas infliger une telle peine, car seul le juge pénal le peut.

Une juridiction pénale peut condamner un individu à une peine de travail d’intérêt général (TIG), qui consiste à effectuer un travail non rémunéré au profit d’une association agréée (les Restos du coeur, la Croix-Rouge par exemple), d’une collectivité publique (une commune), d’un établissement public (une école, un hôpital, etc.), ou d’une entreprise qui serait chargée d’une mission de service public . La durée d’un TIG varie entre 20 et 400 heures, et il doit être effectué dans un délai de 18 mois après le prononcé de la peine. Lorsqu’un mineur est condamné à effectuer un TIG, cela doit être à but éducatif.

Une loi de 2019 a placé délibérément le travail d’intérêt général plus haut dans l’échelle des peines, en le plaçant juste derrière l’emprisonnement et la détention à domicile, et devant l’amende. Cela témoigne de l’importance récente accordée à cette peine par le législateur. Rappelons que le gouvernement a créé fin 2018 une agence nationale dédiée au TIG et au travail en prison, avec pour mission notamment de “rechercher des structures susceptibles d’accueillir des postes de travail d’intérêt général ainsi que des types d’activités ou de fonctions pour ces postes”.

Les régions peuvent proposer des travaux d’intérêt général

La région, en tant que collectivité publique, peut proposer des travaux d’intérêt général au juge de l’application des peines (JAP) – magistrat indépendant chargé de fixer les modalités de l’exécution des peines et de contrôler leur déroulement – du ressort du lieu dans lequel le TIG sera effectué. Les TIG proposés sont alors inscrits sur une liste indicative à la disposition du juge.

Pour rappel, un TIG peut être prononcé par une juridiction pénale en cas de délit, et pour certaines contraventions, notamment les destructions, dégradations ou détériorations dont il ne résulte qu’un dommage léger, ce qui semble être le cas de figure envisagé par le candidat Laurent Saint-Martin, qui n’a pas répondu à nos sollicitations. Ainsi, la région Île-de-France pourrait parfaitement proposer des TIG à effectuer dans ses services de nettoyage, de maintenance ou d’entretien, et les juges, confrontés à des dégradations de biens publics, pourraient choisir de prononcer des peines de TIG et choisir spécifiquement l’un des TIG proposés par la région. Mais la région Île-de-France ne pourrait pas en soi “instituer une politique de TIG « tu casses, tu répares tu salis, tu nettoies »”.

Cette proposition – en dehors d’un effet d’annonce – semble en réalité avoir pour objectif de favoriser le recours au TIG, voire d’orienter le choix des juges en mettant à leur disposition telle activité (de nettoyage ou de remise en état) plutôt que telle autre.

C’est le juge qui décide de prononcer un travail d’intérêt général

Le TIG constitue une peine et, à ce titre, seul un juge peut la prononcer, en vertu du principe de séparation des pouvoirs. Les élus, tout comme l’administration, ne peuvent en aucun cas prononcer eux-mêmes une peine ou même en suggérer une au juge, comme nous l’avons déjà rappelé.

En effet, le tribunal reste seul décisionnaire de la nature et du quantum de la peine qu’il prononce : il prononce la peine (TIG ou non) qui lui paraît la plus appropriée en tenant compte des circonstances de l’infraction et de la personnalité et de la situation de l’auteur. Lorsque la peine prononcée est un TIG, le tribunal prononce la durée du TIG et son délai d’accomplissement, mais c’est le JAP qui précise les modalités d’exécution du travail, notamment l’activité que le condamné accomplira et l’organisme au profit duquel le travail sera effectué.

Il est également impossible de créer des peines automatiques, car cela irait à l’encontre du principe d’individualisation des peines, consacré par le Conseil constitutionnel en 2005. La valeur constitutionnelle du principe d’individualisation empêche la création d’une loi (ou d’une décision de la région) prévoyant une peine automatique pour tel ou tel délit, comme nous l’avons déjà expliqué à de nombreuses reprises.

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