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L'animateur star de CNews, Pascal Praud, lors d'un match à Roland-Garros, le 7 juin 2025. Photo : Alain Jocard / AFP

Temps de parole sur CNews : pourquoi l’Arcom n’a pas contredit le rapport de RSF

Création : 2 décembre 2025

Auteur : Nicolas Turcev, journaliste

Relectrice : Clara Robert-Motta, journaliste

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Nicolas Turcev, journaliste

Source : Compte Facebook, le 27 novembre 2025

Dans un article du Point, le gendarme de l’audiovisuel a semblé désavouer un rapport de Reporters sans frontières critiquant le manque de pluralisme sur la chaîne d’information. Mais à y regarder de plus près, les données partagées par les deux institutions sont en réalité complémentaires.

Drôle de timing. Quelques heures avant la diffusion du numéro de Complément d’enquête consacré à CNews, diffusé sur France 2 le 27 novembre 2025, l’Arcom a pris la parole dans Le Point pour remettre en cause son contenu. L’autorité n’aurait noté « aucun problème particulier » à l’antenne de la chaîne d’information, semblant contredire directement les conclusions d’une étude de Reporters sans frontières qui devait être présentée au cours de l’émission.

La veille, l’ONG avait publié sur son site une série de statistiques montrant que la chaîne du milliardaire Vincent Bolloré est celle qui « s’éloigne le plus des règles » en matière de respect du pluralisme, dont l’Arcom est garante.

Faute de pouvoir intégrer la réaction de l’Arcom à temps, France 2 a décidé de couper la séquence litigieuse du Complément d’enquête. Dans un communiqué, la Société des journalistes (SDJ) de France Télévisions s’interroge : « Pourquoi l’Arcom, qui pendant des mois a refusé toutes les demandes d’interview, choisit-elle à quelques heures avant la diffusion de contester une étude qui lui avait été présentée six jours auparavant ? »

Face au déluge de critiques visant l’émission, les journalistes du service public font bloc. Ils défendent une émission « éditorialement irréprochable », et affirment que la coupe causée par l’intervention de l’Arcom « ne remet en rien en cause la solidité de l’enquête ». Et pour cause : les déclarations de l’autorité n’invalident pas les conclusions de RSF. Les données de l’Arcom et celles de l’ONG sont même plutôt complémentaires.

Les tunnels nocturnes de François Hollande

Tout part de la publication, le 26 novembre 2025, du rapport de Reporters sans frontières, intitulé « Cnews, le grand détournement ». L’ONG a voulu vérifier la conformité des chaînes d’information en continu avec les critères de pluralisme parus dans une délibération de l’Arcom du 17 juillet 2024. Pour ce faire, elle a analysé les contenus diffusés à l’antenne de LCI, BFMTV, FranceInfo et Cnews au cours du mois de mars 2025.

Plutôt que de compter laborieusement à la main le temps de parole de chaque intervenant, RSF a analysé les bandeaux qui indiquent le nom des personnalités à l’écran et la thématique abordée. Résultat : « S’il existe ici et là quelques déséquilibres, seule CNews s’éloigne de manière flagrante et systématique du cadre imposé », conclut l’association de défense de la liberté d’expression.

Elle reproche à la chaîne de tricher sur l’équilibre du temps de parole des partis politiques en diffusant des personnalités de gauche la nuit, tandis que l’extrême-droite est surreprésentée aux heures de prime time, en matinée et début de soirée. Pour rappel, hors période électorale, le temps est attribué à un parti politique dès qu’un de ses représentants prend la parole.

Ainsi, de minuit à sept heures du matin, 60 % du temps de parole politique était consacré en moyenne à la gauche – avec, notamment, de longs discours de François Hollande et Jean-Luc Mélenchon –, contre 15,4 % aux heures de grande écoute. L’extrême-droite, elle, occupe 40,6 % du temps d’antenne sur les créneaux 7-10h et 18-21h, sur lesquels la chaîne réalise ses meilleures audiences.

La répartition du temps de parole politique par plage horaire sur CNews selon l’enquête de Reporters sans frontières / Capture d’écran du site de Reporters sans frontières

 

Ces « rattrapages nocturnes » posent-ils problème ? Depuis janvier 2018, les règles édictées par l’Arcom sont claires : un tiers du temps de parole politique diffusé à l’antenne doit être réservé à l’exécutif, le reste étant divisé entre les partis politiques au prorata de leur poids aux élections et dans le débat public. Mais rien n’interdit explicitement des sessions de nuit pour équilibrer les compteurs. La discipline a d’ailleurs de nombreux adeptes : LCI en 2020, Cnews (déjà) en 2021, BFMTV et Quotidien en 2024

Pour autant, le gendarme de l’audiovisuel y est attentif. Dans son rapport sur le groupe BFMTV portant sur l’année 2024, l’Arcom relève que, sur la deuxième chaîne d’info de France, « les temps du bloc de l’exécutif avaient été diffusés majoritairement la nuit » et a « appelé l’attention des représentants de la chaîne sur la nécessité d’assurer une exposition plus équilibrée du pouvoir exécutif au regard des horaires de diffusion ».

Le Conseil d’État a même confirmé cette doctrine dans une décision rendue en 2023, après que Cnews a contesté une mise en demeure du Conseil supérieur de l’audiovisuel, le prédécesseur de l’Arcom.

La gauche est surreprésentée à l’antenne

Dans ce cas, d’où vient le malaise déclenché par l’article du Point ? Selon l’Arcom, le rapport de RSF serait biaisé : la répartition des temps de parole par orientation politique et par plage horaire masque le fait qu’en termes de volume absolu, « La France insoumise et le Parti socialiste disposent sur CNews, au mois de mars 2025, d’un temps de parole qui est supérieur au poids qu’ils représentent dans le débat public ».

Mais cela, l’enquête de RSF ne le conteste pas frontalement. En moyenne, sur 24 heures, l’ONG évalue la représentation de la gauche à 33 % du temps d’antenne hors exécutif, soit légèrement plus que le score du Nouveau front populaire (28,8 %) au premier tour des élections législatives de 2024. Le bloc présidentiel arrive en seconde position avec 25 % des prises de parole.

Du côté de l’Arcom, selon les chiffres mensuels (1, 2) disponibles en ligne qui sont transmis par la chaîne à l’autorité, La France insoumise compte pour 18,6 % du temps d’antenne hors exécutif (10,49 % des voix en 2024) et le Parti socialiste pour 13,3 % (8,58 % des voix en 2024). Là aussi, la gauche arrive en tête des prises de paroles politiques.

La répartition du temps d’antenne par courant politique sur CNews selon la mesure de Reporters sans frontières et les données déclaratives de la chaîne transmises à l’Arcom / Capture d’écran du site de Reporters sans frontières

 

La gauche semble donc bien être la tendance politique la plus exposée sur CNews. La conséquence des longs tunnels de diffusion nocturne ? Pas selon l’Arcom, qui estime que la surreprésentation de la gauche s’observe aussi bien de jour que de nuit. Seul hic : l’autorité se refuse à transmettre des données plus précises pour vérification, notamment au service CheckNews de Libération. Contactée, l’Arcom n’avait pas répondu à nos sollicitations au moment de la publication.

De son côté, RSF affirme que les rattrapages nocturnes ont contribué à hauteur de 39 % du temps de parole total attribué à la gauche sur CNews en mars 2025, soit 8h23 sur les 21h40 du temps d’antenne total accordé à cette tendance. « Et encore, on ne compte ici que les tunnels, c’est-à-dire uniquement les séquences de plus de 15 minutes diffusées de nuit », précise RSF aux Surligneurs, tout en soulignant qu’aucune personnalité de droite ou d’extrême droite « n’a fait l’objet de ces tunnels ».

Quand bien même la gauche serait également surexposée en journée, « cela ne changerait rien au déséquilibre manifeste constaté et révélé par notre enquête entre l’exposition des courants politiques la nuit et celle observée aux heures de prime time », insiste l’ONG.

Il est en effet possible de tenir les deux bouts : le fait que la gauche soit surreprésentée sur CNews, comme le pointe l’Arcom, n’empêche pas de souligner qu’une part significative de cette exposition s’effectue sur des créneaux à faible, voire très faible audience. Autrement dit, l’intervention du gendarme de l’audiovisuel ne « balaie » pas les conclusions de RSF, comme a pu l’affirmer CNews.

Le pluralisme d’extrême-droite

La critique adressée par RSF à la chaîne d’information ne se limite d’ailleurs pas au seul critère de représentativité du personnel politique. Dans sa délibération de juillet 2024, l’Arcom rappelle que le pluralisme s’évalue aussi à l’aune de « la variété des sujets ou thématiques abordés à l’antenne », « de la diversité des intervenants dans les programmes » et « de l’expression d’une pluralité de points de vue dans l’évocation des sujets abordés à l’antenne ».

L’ONG complète donc son analyse avec un autre indicateur : celui du média d’appartenance des intervenants. Tandis que BFMTV et France Info « offrent une palette assez large de participants issus de médias variés », sur CNews, « le déséquilibre est très prononcé », note RSF. « L’écrasante majorité, plus de 70 %, des journalistes intervenants sont issus de médias dont la ligne éditoriale est plutôt marquée à droite, voire à l’extrême droite. »

Enfin, RSF passe en revue les sujets traités lors de ce mois de mars 2025 : « Les débats sur l’islamisme, les questions identitaires et l’immigration y sont sept fois plus présents que sur les autres chaînes, et l’insécurité y reçoit trois à quatre fois plus de couverture », confirmant les conclusions de précédentes enquêtes qualitatives et quantitatives, de Mediapart et du collectif Sleeping Giants, montrant que le canal 14 accueille bel et bien une chaîne d’extrême-droite.

Sur ces compléments d’enquête apportés par RSF, l’Arcom a déclaré à CheckNews « n’a[voir] pas émis d’opinion ».

 

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