Sur le plateau de TPMP, le Conseil d’Etat est défini comme étant une instance sous le Conseil constitutionnel qui donne des avis
Dernière modification : 17 février 2024
Auteurs : Guillaume Baticle, doctorant en droit public
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Philippe Mouron, maître de conférences HDR en droit privé, directeur du master droit des médias électroniques, Université Aix-Marseille
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Source : TPMP, 13 février 2024
Le Conseil d’Etat est le plus haut juge administratif. Il rend des décisions de justice, pas de simples avis. En l’occurrence il a pris la décision d’annuler le refus de l’Arcom d’agir à la demande de Reporters Sans Frontières. L’Arcom doit se conformer à cette décision et réexaminer la demande de RSF, en engageant une procédure contre CNews.
Le Conseil d’État a ordonné à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) de veiller davantage à ce que la chaîne CNews respecte les obligations de pluralisme et d’indépendance de l’information dans ses émissions. Les chroniqueurs de Touche Pas à Mon Poste, émission quotidienne de C8, chaîne sœur de CNews au sein du groupe Bolloré, ont vivement réagi à cette décision du Conseil d’État. À cette occasion, pour mieux faire comprendre nos institutions, le chroniqueur Gilles Verdez a donné sa définition du Conseil d’État : “C’est une instance avec des juristes, en dessous du Conseil constitutionnel, et qui rend des avis. Là, elle a rendu un avis qui répond à une question de Reporters sans Frontières“. Et c’est complètement faux.
Le Conseil d’État n’est pas “en dessous” du Conseil constitutionnel
Le Conseil d’État est au sommet de ce que l’on appelle l’ordre juridictionnel administratif, au dessus du tribunal administratif et de la cour administrative d’appel, mais en dessous de rien, si ce n’est de la Constitution. Ses décisions ne sont pas susceptibles de recours au niveau national, pas même devant le Conseil constitutionnel. C’est le juge administratif suprême, comme la Cour de cassation est le juge judiciaire suprême. S’il est vrai que le Conseil d’État rend des avis, son rôle majeur est surtout – comme en l’occurrence contre l’Arcom – de rendre des décisions de justice.
Le Conseil d’État rend des décisions de justice
Dans son rôle de juridiction, le Conseil d’État statue sur les recours introduits par les justiciables contre les décisions des administrations, et en particulier dans le cas qui nous intéresse, des autorités administratives indépendantes, telles que Arcom (Article R311-1 du code de justice administrative). Dans l’affaire CNews, l’organisation non gouvernementale Reporters sans Frontières (RSF) avait saisi l’Arcom en tant que gendarme de l’audiovisuel, chargée par la loi du 30 septembre 1986 de “garanti(r) l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes” et de “veille(r) à ce que la diversité de la société française soit représentée dans les programmes des services de communication audiovisuelle et que cette représentation soit exempte de préjugés” (article 3-1). Cette autorité peut, en cas d’infraction grave, infliger une sanction financière allant jusqu’à 3 % du chiffre d’affaires hors taxe de la chaîne concernée (article 42-2).
RSF estimait que CNews ne respectait pas cette obligation de pluralisme et d’impartialité de l’information, et a donc demandé à l’ARCOM d’exercer ses pouvoirs pour qu’elle mette en demeure cette chaîne de modifier sa ligne éditoriale sur ce plan et au besoin qu’elle la sanctionne. L’Arcom ayant refusé, RSF a contesté ce refus devant le Conseil d’État. Ce dernier pouvait alors soit rejeter la demande de RSF, soit annuler la décision de l’Arcom et l’enjoindre de réexaminer la demande initiale de RSF, ce qu’il a fait.
Les manquements de CNews justifiant l’annulation du refus d’agir de l’Arcom
Le refus d’engager une procédure de l’Arcom reposait sur “le temps d’antenne accordé aux personnalités politiques” : selon cette autorité en effet, “le non-respect (…) de la diversité des courants de pensée et d’opinion exprimés par l’ensemble des participants aux programmes diffusés n’était pas susceptible, par lui-même, de constituer un manquement à cette exigence”. C’est exactement le contraire qu’a soutenu le Conseil d’État pour annuler le refus de l’Arcom de se saisir du cas de CNews.
En effet, le pluralisme interne de la chaîne doit être apprécié de manière globale et non au regard des seuls temps d’intervention de personnalités politiques. Aussi le Conseil d’État affirme-t-il que les arguments de RSF sont fondés, et que l’Arcom aurait dû lancer une procédure contre CNews. Il appartiendra donc à l’ARCOM de vérifier si, oui ou non, cette chaîne s’était mise en infraction par rapport à la loi de 1986 et aux obligations qu’elle impose.
De plus, s’agissant de l’indépendance de l’information, en termes d’honnêteté et de pluralisme (qui suppose aussi du contradictoire), le Conseil d’Etat s’appuie sur les termes de la convention qui lie CNews à l’État, en vertu de la même loi de 1986 : “L’éditeur s’engage à préserver son indépendance éditoriale, notamment à l’égard des intérêts économiques de ses actionnaires et de ses éditeurs” (article 2-3-8 de la convention). En d’autres termes, une chaîne d’information ne saurait être le porte-voix exclusif de ses actionnaires.
L’Arcom devra engager une procédure
Conséquence de la décision du Conseil d’État, l’Arcom devra revoir sa réponse à RSF. Soit elle maintient son refus d’engager une procédure avec des arguments mieux bâtis juridiquement, ce qui est peu probable car elle a été contredite sur le fond par le Conseil d’État. Soit elle engage une procédure, qui peut commencer par une mise en demeure adressée à la chaîne de respecter ses obligations. Si cela ne suffit pas à obtenir un infléchissement, l’Arcom devra entamer une procédure de sanction.
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