S’il est élu président de la région Île-de-France, Julien Bayou ne pourra pas “porter plainte en lieu et place des femmes” victimes d’agression

Création : 26 juin 2021
Dernière modification : 22 juin 2022

Auteur : Elias Kari, master à Sciences Po Saint-Germain

Relectrice : Charlotte Vincent-Luengo, doctorante en sciences criminelles, Université de Lille

Source : BFMTV, émission “Régionales 2021 Le Débat”, 23 juin 2021

La proposition de Julien Bayou a peu d’intérêt juridiquement parlant : la région ne pouvant pas porter plainte à la place de la victime, elle ne peut qu’adresser une dénonciation au parquet. Si celle-ci aboutit, la victime se trouve impliquée dans les mêmes procédures judiciaires que s’il avait porté plainte.

Julien Bayou, tête de liste de l’union de la gauche aux élections régionales en Île-de-France, a présenté plusieurs mesures contre les violences sexistes et sexuelles lors d’un débat sur le plateau de BFMTV. Il propose qu’en cas d’agression dans les transports, la région se substitue à la victime pour assurer le dépôt de plainte. Mais en l’état actuel du droit, cette mesure est impossible à appliquer : seule la victime d’un préjudice peut porter plainte.

En l’état actuel du droit, le dépôt de plainte peut être réalisé de deux manières : grâce à un passage en commissariat ou en gendarmerie, mais aussi via un courrier envoyé directement au procureur. Dans les deux cas, cet acte doit être mené uniquement par la personne qui s’estime victime d’une infraction. Nul ne peut se substituer à la personne lésée pour conduire cette démarche, il n’existe qu’une exception : les mineurs, qui peuvent porter plainte seuls, mais leurs parents sont aussi autorisés à porter plainte en leur nom et sans leur accord. 

Porter plainte permet de dénoncer une infraction et de se constituer partie civile, c’est-à-dire avoir la possibilité d’obtenir réparation de la part de l’auteur des faits. L’article 2 du Code de procédure pénale dispose que ce droit “appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction”. Il est donc nécessaire d’être soi-même la victime pour porter plainte, et recevoir des dommages et intérêts. Une collectivité locale comme la région ne peut donc pas déposer de plainte à la place d’une victime, quelle que soit l’infraction constatée. 

En revanche, la région possède un autre levier d’action : la dénonciation au parquet. Cet instrument permet à toute personne témoin d’une infraction, dont elle n’est ni victime ni auteur, de la signaler au procureur via un courrier. Contrairement à la plainte, la dénonciation se limite à une demande de poursuites pénales : le témoin ne peut en aucun cas réclamer des réparations pour la victime.

Plus intéressant encore ici, l’article 40 alinéa 2 du Code de procédure pénale précise que “tout officier public ou fonctionnaire, qui dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner sans avis délai au procureur de la République”. Les agents publics sont donc déjà dans l’obligation d’effectuer une dénonciation, s’ils constatent des crimes ou des délits dans le cadre de leurs missions. Dans le cas proposé par Julien Bayou, on peut imaginer qu’un agent régional des transports constate des violences sexuelles dans les transports et opère une dénonciation au procureur. 

Mais il y a une limite. Cette obligation s’applique uniquement aux crimes et aux délits, c’est-à-dire les infractions les plus graves (harcèlement sexuel, coups et blessures volontaires, viol…). Il n’existe aucun devoir de dénonciation des contraventions, soit les menaces les plus courantes auxquelles les femmes sont exposées dans les transports comme l’outrage sexiste (propos dégradants, drague, sifflements…). 

C’est ensuite au procureur de décider si, sur la base des faits rapportés par la région, il engage des poursuites judiciaires. Si la dénonciation aboutit, la victime sera nécessairement impliquée dans l’enquête, même si la demande ne vient pas d’elle. Elle sera notamment convoquée à des auditions et confrontée à l’auteur des faits, comme si elle avait porté plainte elle-même.

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