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Si le budget n’est pas adopté, est-ce que l’on risque un « shutdown » à l’américaine comme l’affirme Élisabeth Borne ?

Création : 27 novembre 2024

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public à l’université de Poitiers

Relecteur : Sacha Sydoryk, maître de conférences en droit public, université de Picardie Jules Verne

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction : Maylis Ygrand, journaliste

Source : Élisabeth Borne sur LCI, le 24 novembre 2024

En France, il existe des procédures constitutionnelles pour éviter un scénario de shutdown à l’américaine.

« Ça veut dire qu’au 1er janvier, votre carte Vitale ne marche plus, les retraites ne sont plus versées… » Voilà le scénario qui nous attendrait, selon la députée EPR Élisabeth Borne, si le budget de la Sécurité sociale venait à être censuré.

Pour l’éviter, l’ancienne Première ministre voit en l’article 49 alinéa 3 de la Constitution un rempart juridique et politique contre un blocage du financement des services publics, s’appuyant sur l’image du shutdown américain. Sauf qu’en France, le shutdown n’est pas possible.

Le shutdown, qu’est-ce que c’est ?

Chaque année, les deux chambres parlementaires américaines, la Chambre des représentants et le Sénat, votent la loi de financement de l’administration fédérale de l’année à venir, avant le 1er octobre.

Si les deux chambres ne se mettent pas d’accord avant cette date, le financement des services publics et le paiement des agents ne sont plus autorisés, et les activités gouvernementales non essentielles sont suspendues : c’est le shutdown. L’image la plus familière est celle des fonctionnaires des services non essentiels qui restent chez eux.

Une hypothèse impensable en France

Élisabeth Borne, qui a eu recours à l’article 49 alinéa 3 pas moins de 23 fois pendant ses fonctions de chef du gouvernement, suggère à son successeur, Michel Barnier, d’en faire l’usage pour faire adopter le budget de l’État.

Pour rappel, sur le fondement de cet article, le Gouvernement fait adopter un projet ou une proposition de loi par l’Assemblée nationale, sans le vote des députés. En contrepartie, le gouvernement engage sa responsabilité et doit démissionner si une motion de censure est adoptée par les députés. Dans ce cas, le projet de loi n’est finalement pas adopté.

Si l’article 49 alinéa 3 n’existait pas et si le gouvernement n’obtenait pas de majorité pour faire adopter son projet de loi de finances de la Sécurité sociale (LFSS), les services publics seraient-ils bloqués ? Non.

Le texte en question est la loi de financement de la Sécurité sociale. Elle est votée en fin d’année civile, et elle fixe l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM) ainsi que les régimes généraux des caisses de retraite. Il ne s’agit ni d’une autorisation de perception des cotisations, ni une autorisation des dépenses. Avec ou sans la LFSS, les cotisations sont dues, et les retraites sont payées.

Même sans adoption par le Parlement, il n’y aurait pas de shutdown

Et quand bien même, le projet de LFSS ne serait pas adopté par le Parlement dans les temps, le Gouvernement n’est pas démuni. L’article 47-1 de la Constitution prévoit que « si le Parlement ne s’est pas prononcé dans un délai de cinquante jours, les dispositions du projet peuvent être mises en œuvre par ordonnance ».

Donc, si le Parlement ne légifère pas, le Gouvernement peut le faire, passé un certain délai. Pas de risque de shutdown, les dispositions relatives à la Sécurité sociale seront toujours appliquées, qu’elles soient adoptées par le Parlement ou décidées par le Gouvernement.

Il est donc faux d’affirmer que l’article 49 alinéa 3 protège la France contre un shutdown à l’américaine, car un tel événement n’est juridiquement pas possible en France en matière de sécurité sociale.

 

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