Crédits photo : Gage Skidmore (CC 2.0)

Selon Marion Maréchal : « 80% des lois qui sont votées en France sont issues de textes votés au Parlement européen »

Création : 29 avril 2024

Auteur : Guillaume Baticle, doctorant en droit public

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay

Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun

Secrétariat de rédaction: Aya Serragui

Source : Compte X de Marion Maréchal, 28 avril 2024

Il est difficile de quantifier l’influence de l’Union européenne sur le droit français. Quand bien même, les lois françaises qui ont pour but d’intégrer les directives européennes dans le droit interne ne représentent qu’une minorité des lois votées par le Parlement.

C’est un propos que l’on entend depuis plusieurs décennies : 80% des lois qui sont votées en France sont la conséquence de textes européens. Marion Maréchal reprend là un argumentaire déjà avancé par Marine Le Pen, Jordan Bardella ou d’autres eurosceptiques. Les Surligneurs y avaient d’ailleurs consacré un podcast. Mais d’où vient ce chiffre et reflète-t-il la réalité ?

Un chiffre d’origine européenne qui n’était qu’une projection et pas une réalité

Contre toute attente, c’est Jacques Delors, président de la Commission européenne de 1985 à 1995, qui a lancé ce chiffre. L’Europe étant en plein développement, les personnages clés les plus fédéralistes comme Jacques Delors débordaient d’optimisme. Il avait donc annoncé en 1988 que « dans dix ans, 70 % à 80 % de la législation adoptée le sera sous influence européenne« . L’idée était de présenter une Europe puissante. Mais ce chiffre a été détourné contre l’Union européenne, en prétendant que c’est à Bruxelles qu’on décide de tout et que les États ont perdu leur souveraineté.

Un chiffre invérifiable aujourd’hui

Aujourd’hui, ce taux de 80 % est trompeur, car il est difficile de quantifier l’influence de l’Union européenne sur le droit national. Marion Maréchal cible les lois votées en France en application du droit européen. Ces types de lois sont ce qu’on appelle des lois de transposition, qui ont pour but d’inscrire dans le droit national les objectifs des directives européennes. Or, ces lois de transposition ne représentent que 20% de toutes les lois votées par le Parlement français. Les directives assignent un objectif aux États membres, qui sont libres dans leurs moyens d’y parvenir au moment de voter les lois de transposition. Et parfois aucune loi n’est nécessaire, un décret voire un arrêté ministériel suffit. Il faudrait donc aussi vérifier, parmi les très nombreux règlements (décrets, arrêtés), lesquels appliquent une directive européenne.

En tout état de cause, si Marion Maréchal évoque 80 % de lois issues de textes votés au Parlement européen, un simple décompte sur l’année 2023 prouve le contraire : sur 95 lois et ordonnances adoptées en 2023, seules 13 portent application du droit de l’Union européenne, ce qui fait un taux de 13.7 %.

Le droit de l’Union, parfois inspiré par le droit interne…

De plus le droit de l’Union européenne tient son origine des lois internes des États membres, y compris la France. N’oublions pas que les États sont représentés par les ministres au sein du Conseil de l’Union européenne et par les députés au sein du Parlement européen. Il existe bien des lois européennes qui règlementent des aspects sur lesquels les États ont déjà légiféré et éprouvent le besoin d’une législation commune face à certains défis.

Ainsi, en 2019, une directive a été adoptée pour protéger les lanceurs d’alertes. Une protection existait déjà en France depuis la loi Sapin 2 de 2016. La loi nationale a certes été renforcée par la directive européenne, mais le texte reste d’origine française. Enfin, il est vrai que certaines lois sont votées en vue de respecter le droit européen, et ce fut le cas de la réforme des retraites : mais rappelons que dans cette affaire, si l’Union exigeait bien une trajectoire de finances publiques soutenable pour bénéficier du plan européen de relance, c’était à chaque État de déterminer la manière dont il parviendrait à tenir l’objectif. Or le droit de l’Union n’imposait en rien de passer par une réforme des retraites pour assainir les finances de la France, au contraire de ce qu’affirmait à l’époque Jordan Bardella.

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