Crédits photo : Foundations World Economic Forum (CC 2.0)

Selon le Président Emmanuel Macron, « la Cour internationale de justice a déclaré l’agression russe illégale et a exigé le retrait de la Russie »

Création : 30 septembre 2022
Dernière modification : 10 octobre 2022

Auteur :  Lucas Fontarosa, Science Po Toulouse

Relecteur : Raphaël Maurel, maître de conférences en droit public, chercheur au CREDIMI et au CEDIN, secrétaire général adjoint du Réseau francophone de droit international

Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng et Yeni Daimallah

 

 

Source : Discours du Président Emmanuel Macron devant l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies, 20 septembre 2022

Si la Cour de La Haye a demandé à la Russie de « suspendre immédiatement les opérations militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine », celle-ci n’a pour l’instant pas déclaré l’agression russe illégale. Lapsus du Président ou argument calculé ?

D’abord le contexte : le Président est intervenu lors de la 77ème session de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies en dénonçant l’agression russe. Il a ensuite cherché à convaincre les pays qui adoptent une position neutre face à un ordre international proche de la rupture. Ce faisant, le président Macron, se référant à la décision de la Cour du 16 mars 2022, a indiqué que « le 24 février dernier, la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité, a rompu par un acte d’agression, d’invasion et d’annexion, notre sécurité collective. Elle a délibérément violé la Charte des Nations unies et le principe d’égalité souveraine des États. Dès le 16 mars, la Cour internationale de justice a déclaré l’agression russe illégale et a exigé le retrait de la Russie. La Russie a décidé, ce faisant, d’ouvrir la voie à d’autres guerres d’annexion aujourd’hui en Europe, mais peut-être demain en Asie, en Afrique ou en Amérique latine ».

LA COUR A SEULEMENT DEMANDÉ UNE « SUSPENSION » DE L’OPÉRATION SPÉCIALE

Autrement dit, la Cour aurait déclaré l’agression russe illégale et exigé le retrait de la Russie. Or, la Cour n’a en réalité fait qu’indiquer, comme le permet son Statut en cas d’urgence, trois « mesures conservatoires » (c’est-à-dire des mesures provisoires) par une son ordonnance du 16 mars dernier. Ces mesures sont en substance : la Russie doit immédiatement suspendre les opérations militaires débutées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine (unanimité moins deux voix), veiller à ce qu’aucune entité militaire régulière ou irrégulière qui serait sous son contrôle ou bénéficierait de son appui ne poursuive l’opération militaire (unanimité moins deux voix), et l’Ukraine comme la Russie doivent « s’abstenir de tout acte qui risquerait d’aggraver ou d’étendre le différend dont la Cour est saisie ou d’en rendre le règlement plus difficile » (unanimité). 

DES MESURES OBLIGATOIRES MAIS NON RESPECTÉES PAR LA RUSSIE

Ces mesures ordonnées par la Cour sont obligatoires, comme elle l’a précisé en 2001. Elles n’ont, pourtant, pas été respectées par la Russie : cela engage donc sa responsabilité internationale.

Il convient de rappeler que la Cour ne dispose d’aucun pouvoir coercitif. Les arrêts qu’elle rend sont certes définitifs et obligatoires (article 59 du Statut de la Cour). Ils ne peuvent donc pas faire l’objet d’appel, mais seulement de recours en interprétation ou en révision. Néanmoins, ces arrêts n’ont pas de force exécutoire au sens où il n’existe aucune force publique permettant d’assurer leur application. 

LA COUR NE PEUT PAS DÉCLARER L’AGRESSION RUSSE « ILLÉGALE » À CE STADE

La procédure devant la Cour est d’autant plus longue que la Russie se défend : elle invoque des « exceptions préliminaires », c’est-à-dire des arguments visant à montrer soit que la Cour n’est pas compétente pour trancher le litige, soit que la demande de l’Ukraine n’est pas recevable pour des raisons par exemple procédurales. La prochaine phase ne permettra donc pas non plus de déclarer l’agression russe illicite, car il faudra d’abord que la Cour se prononce sur ces arguments russes avant de se prononcer sur le fond, à savoir la légalité – ou non – de l’invasion. 

En l’occurrence, l’Ukraine invoque devant la Cour de La Haye le fait que l’offensive russe est une violation de la Convention sur le génocide de 1948. La Cour devra d’abord vérifier qu’elle est compétente pour traiter de cette question, en vertu de cette convention spécifique.

L’agression russe est certes à l’évidence illicite, par rapport à la Charte des Nations Unies qui prohibe l’usage de la force entre les Nations ; mais la Cour ne peut statuer que sur la base de la Convention sur le génocide. Au nom du principe de consentement des parties à être jugé, corollaire de la souveraineté des États, la compétence de la Cour est en effet toujours limitée par l’instrument (c’est-à-dire le traité en l’occurrence) invoqué dans chaque affaire, par les États qui se présentent devant elle. Or seule la Convention sur le génocide a été invoquée.

Ce n’est donc que lors de la troisième phase à venir, sauf survenance d’autres demandes de mesures conservatoires entretemps, que la Cour, si elle se déclare compétente, pourra constater non pas que l’agression en elle-même est illicite, mais soit que l’opération militaire est compatible avec la convention sur le génocide, soit qu’elle ne peut pas être justifiée par cette convention.

Contacté, Emmanuel Macron n’a pas répondu à nos sollicitations.

 

 

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