Selon l’avocat chroniqueur Gilles-William Goldnadel, « la formule lapidaire « L’immigration tue » n’a rien de répréhensible juridiquement et moralement »
Auteur : Emmanuel Daoud, avocat
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
Source : Compte X de Gilles-William Goldnadel, 10 juillet 2024
L’ARCOM a déjà sanctionné CNews pour avoir laissé se tenir de tels propos dans une matinale. La Cour de cassation pourrait bien statuer de la même manière.
S’exprimant sur son compte X (anciennement Twitter) l’avocat argumente ainsi : « à part quelques menteurs ou demeurés, chacun s’accorde à reconnaître le lien entre immigration massive et insécurité. Aucune ethnie n’est visée. En conséquence, la formule lapidaire « l’immigration tue » n’a rien de répréhensible juridiquement et moralement« . Or rien n’est moins sûr, tant la formule a été ressentie comme délictuelle par certaines institutions.
Qu’est-ce que le délit de provocation à la haine ?
L’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 érige en délits certaines provocations particulières, qui sont constituées – et donc répréhensibles – même si elles ne sont pas suivies d’effet : « Ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement ».
Le juge considère que cette infraction est effectivement constituée lorsque, « tant par son sens que par sa portée, le texte incriminé tend à susciter un sentiment d’hostilité ou de rejet envers un groupe de personnes à raison d’une origine ou d’une religion déterminée » (Cour de cassation 14 mai 2002). Il en va de même lorsque le texte tente d’instiller un « sentiment de dégoût » (Cour d’appel de Paris, 27 mai 1992, non publié) ou de rejet d’une partie bien définie de la population (Cour de cassation, 14 mai 2002), ou encore de créer la conviction que la sécurité passe par le rejet des immigrés et que l’inquiétude et la peur, liées à leur présence en France, cesseront à leur départ (Cour de cassation, 13 novembre 2001).
C’est donc le cas lorsque le président d’un parti politique oppose les Français aux musulmans, présentant ces derniers comme des envahisseurs (Cour d’appel de Paris, 12 mars 2008, non publié).
Ce délit est-il applicable à l’expression « l’immigration tue » ?
Assurément, le terme « immigration » désigne un groupe de personnes, l’immigré étant défini par le dictionnaire Robert comme celui qui est venu de l’étranger, par rapport aux habitants du pays qui l’accueille.
L’expression « l’immigration tue » fait allusion au slogan de sensibilisation « fumer tue » imposé sur les paquets de cigarettes depuis 2005, pour sensibiliser aux dangers mortels de la cigarette. L’analogie entre l’immigration et la cigarette a donc pour objet d’attribuer à l’immigration les effets sanitaires létaux de la cigarette, ce qui est bien de nature à susciter la crainte, le dégoût et la haine à l’encontre de la population des immigrés en France.
C’est du moins ainsi que l’a considéré l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) Le 3 juillet 2024, elle a prononcé contre CNews une sanction financière 60 000 euros en raison de propos tenus lors de l’émission La Matinale Week-End le 10 décembre 2023. Citons l’ARCOM : « L’emploi par deux invités de la formule « l’immigration tue » est de nature à représenter les personnes d’origine immigrée, dans leur ensemble, comme un facteur de risque mortifère. Une telle stigmatisation, qui réduit les immigrés au rang de personnes dangereuses et qui n’a suscité aucune réaction de la part des autres personnes présentes en plateau, est susceptible d’inciter à la haine à leur égard en raison de leur race, leur nationalité ou leur origine ethnique et d’encourager à des comportements discriminatoires à leur égard en raison de leur race, leur nationalité ou leur origine ».
Certes, l’ARCOM n’a pas pour mission d’appliquer la loi de 1881 sur la presse, mais celle du 30 septembre 1986 (article 15) relative à la liberté de communication audiovisuelle et numérique. Mais la similitude entre les deux textes est parlante : l’ARCOM est tenue de s’assurer « que les programmes mis à la disposition du public par un service de communication audiovisuelle ne contiennent : 1° Ni incitation à la haine ou à la violence fondée sur l’un des motifs visés à l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne […] « , au nombre desquels figurent notamment la race, la nationalité et l’origine ethnique.
L’ARCOM n’est pas la Cour de cassation, mais leurs appréciations convergent souvent…
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