Selon Jordan Bardella, il n’est pas possible d’ « être jugé sur le territoire français pour des crimes et délits commis à l’étranger »
Dernière modification : 20 juin 2022
Autrice : Laurene Pezron, étudiante en master 2 droits de l’Homme à l’université de Nanterre, sous la direction de Jean-Paul Markus, professeur de droit à l’université Paris-Saclay
Source : France Inter, lundi 13 janvier 2020
Que Jordan Bardella refuse de rapatrier les djihadistes français est une chose, mais affirmer à l’appui de son refus que nos tribunaux ne peuvent pas juger des crimes ou délits commis à l’étranger est faux : le code pénal dit tout le contraire. Cela précisé, juger ces personnes posera des problèmes redoutables en droit (quelle charge retenir qui corresponde à notre code pénal ?) et en pratique (preuve, identification, témoignages, etc.).
Jordan Bardella, vice-président du Rassemblement national et député européen, affirme que le rapatriement des djihadistes français est « une aberration juridique » car il n’est pas possible d’ « être jugé sur le territoire français pour des crimes et délits commis à l’étranger ». Cette déclaration fait suite à l’interview dans Libération de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, annonçant le possible rapatriement des djihadistes français pour leur jugement devant les juridictions française. Jordan Bardella se trompe, même si en pratique il ne sera pas facile de juger en France les intéressés.
Le droit pénal international pose le principe de souveraineté des États, ce qui signifie en l’occurrence que les autorités judiciaires irakiennes et syriennes ont la priorité pour juger les ressortissants européens ayant commis des crimes sur leur territoire. Or l’instabilité institutionnelle des États en question peut empêcher le déroulement d’un procès équitable des djihadistes européens. D’où la demande exprimée par certains de rapatrier ces personnes, qui sont françaises, pour les juger en France, en raison des crimes commis en Syrie ou en Irak.
Et contrairement à ce qu’affirme Jordan Bardella, le code pénal est clair : « La loi pénale française est applicable à tout crime commis par un Français hors du territoire de la République. » (article 113-6 du code pénal). Concernant les simples délits, les juridictions françaises sont aussi compétentes si les actes des ressortissants français sont punis par la loi du pays où ils ont été commis, et à condition qu’il y ait plainte des victimes ou dénonciation officielle par l’autorité de ce pays. Donc Jordan Bardella a bien tort juridiquement, même si la condition de la plainte officielle ne semble pas pouvoir être remplie, puisque le Kurdistan – syrien ou irakien – n’est pas un Etat.
Il est vrai toutefois que si des tribunaux français peuvent juger des djihadistes ils seront confrontés à des difficultés pratiques : comment faire rentrer les actes commis en Syrie dans les catégories de notre code pénal (problème de la « qualification pénale ») ? Le « terrorisme » au sens du code pénal, c’est près d’une trentaine de qualifications pénales différentes, certaines relevant du criminel, d’autre du délictuel et donc d’une procédure et de peines différentes. De plus, comment rapporter la preuve des faits reprochés, et même comment identifier les auteurs réels des faits ? Comment faire témoigner les victimes ? Il n’y a donc pas « aberration juridique » (selon Jordan Bardella), mais en toute hypothèse il ne sera pas facile de juger les intéressés en France.
On rappellera enfin que ce cas n’est pas unique. Pour lutter efficacement contre le tourisme sexuel, la loi pénale française s’applique pour toute agression sexuelle commise à l’étranger sur un mineur, même si le pays où l’acte est commis n’incrimine pas ce comportement (c’est-à-dire ne le considère pas comme punissable : article 222-22 du code pénal). En application de cette procédure, la France a notamment condamné le 13 janvier 2020 un pilote de ligne français ayant commis des « agressions sexuelles sur mineur de moins de 15 ans » aux Philippines.
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