Selon Florian Philippot, trois décrets vont interdire l’usage domestique de l’eau de pluie, y compris pour les potagers
Auteur : Jean-Paul Markus, Professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucune
Source : Compte X de Florian Philippot, 25 septembre 2023
Rarement une interprétation politique d’un texte officiel aura été si contraire au texte lui-même. L’utilisation de l’eau de pluie à des fins domestiques et d’arrosage est plus que jamais encouragée par la loi. Reconnectez vos récupérateurs d’eau de pluie, c’est une “fake alert”.
Le post sur X (anciennement Twitter) du président du mouvement Les Patriotes renvoie vers une très longue vidéo, dont il tire la conclusion selon laquelle il ne sera plus possible chez soi de recueillir l’eau de pluie pour un usage domestique, ni pour les potagers (dans le cas des potagers, il ajoute un “?!”). Et de dénoncer dans le même message la “privatisation de l’eau de pluie” et la “mondialisation” dont l’eau de pluie serait victime.
Cette affirmation, qui prend l’eau de toutes parts, repose sur trois décrets, dont seul le dernier concerne les eaux pluviales. Il date du 29 août 2023, et il traite notamment des “conditions d’utilisation des eaux de pluie”.
Rien, dans ce décret, n’interdit d’arroser ses plantes à l’eau de pluie. Rien n’interdit non plus l’utilisation domestique des eaux de pluie, au contraire encouragée par la loi. On peut le démontrer de deux manières. L’une n’est pas juridique, mais coule de source : si une telle interdiction avait été posée par le décret, les fabricants de matériels de stockage et de réseaux d’eaux pluviales auraient déjà procédé à un lobbying intense contre cette mesure, criant à l’absurdité, faisant planer des milliers de suppressions d’emplois, alertant tous les médias.
L’autre manière de démontrer est juridique.
Rien de neuf sous le soleil
Le décret du 29 août 2023, critiqué par Florian Philippot, ne fait qu’appliquer une ordonnance du 22 décembre 2022 relative à l’accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, qui elle-même vient appliquer une directive européenne du 16 décembre 2020 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine. Ces textes imposent des critères de qualité des eaux pour éviter la propagation de maladies.
Le décret régit l’utilisation des eaux usées et des eaux de pluie. Pour les eaux usées, il soumet leur utilisation à une autorisation administrative, en raison des risques sanitaires élevés (le décret crée ainsi un article R. 211-123 dans le code de l’environnement). Pour les eaux de pluie, le même texte est clair : “L’utilisation des eaux de pluie est possible sans procédure d’autorisation”. Donc, ni autorisation exigée, ni interdiction.
En tout état de cause, ce décret n’aurait pas pu remettre en cause la loi, qui n’a pas bougé : selon le Code civil, “tout propriétaire a le droit d’user et de disposer des eaux pluviales qui tombent sur son fonds” (article 641). Chacun reste donc propriétaire des eaux pluviales tombées chez lui.
L’usage domestique de l’eau de pluie est encouragé
Mieux encore, la loi du 3 août 2009 relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement prévoit que “la récupération et la réutilisation des eaux pluviales et des eaux usées seront développées dans le respect des contraintes sanitaires” (article 27). A cela s’ajoute la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, qui pose le principe d’une “utilisation efficace, économe et durable de la ressource en eau, notamment par (…) l’utilisation des eaux de pluie en remplacement de l’eau potable” (codifié à l’article L. 211-1 du code de l’environnement). C’est clair comme de l’eau de roche.
L’utilisation domestique des eaux de pluie est donc au contraire encouragée, mais comme il existe des risques sanitaires, quelques restrictions sont prévues par le code de la santé publique (article L. 1322-14).
Quelques restrictions qui existaient déjà
En application des textes qui précèdent, le décret d’août 2023 prévoit ainsi que “l’utilisation des eaux (de pluie) n’est pas possible à l’intérieur” de certains locaux, dont “les locaux à usage d’habitation”, “les établissements sociaux, médico-sociaux, de santé, d’hébergement de personnes âgées”, “les crèches, les écoles maternelles et élémentaires” (article R.211-126). Est également interdite l’utilisation de l’eau de pluie à des fins alimentaires, de lavage de vaisselle, d’hygiène corporelle, ou encore dans un spa (article R. 211-127). Il n’est donc pas question de limiter l’arrosage des potagers à l’eau de pluie, le raisonnement de Florian Philippot tombe à l’eau.
L’utilisation domestique des eaux de pluie est donc encadrée pour des raisons sanitaires, et ce n’est pas nouveau non plus. Un arrêté du 21 août 2008 relatif à la récupération des eaux de pluie et à leur usage à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments, prévoit déjà exactement les mêmes restrictions. Cet arrêté n’avait pourtant pas provoqué autant de sueurs froides chez Florian Philippot. Il est toujours en vigueur, et autorise l’usage de l’eau de pluie “pour des usages domestiques extérieurs au bâtiment”, donc le potager. Ouf !
À l’intérieur des bâtiments en revanche, “l’eau de pluie collectée à l’aval de toitures inaccessibles (…) peut être utilisée uniquement pour l’évacuation des excrétas et le lavage des sols”, et “à titre expérimental, pour le lavage du linge”. Enfin, l’arrêté interdit l’eau de pluie dans certains bâtiments, les mêmes que ceux cités par le décret d’août 2023. Rien de nouveau non plus.
En conclusion, nous invitons l’auteur de ce post à mieux vérifier ses sources.
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