Être « fiché S » est-il une raison suffisante pour être expulsé ou emprisonné ?
Autrice : Mélyna Gilles, master droit pénal et politiques criminelles, Université Paris-Nanterre
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucun
Relecteurs : Audrey Darsonville, professeure de droit pénal, Université Paris-Nanterre
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucun
Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Liens d’intérêts : aucun
Fonctions politiques ou similaires : aucun
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani
Source : Compte Twitter de Ségolène Royal, 13 octobre 2023
Le fait pour un individu d’être “fiché S” ne peut suffire à justifier son placement sous bracelet électronique ou son emprisonnement sur le plan constitutionnel. S’agissant de l’expulsion, la loi actuelle ne permet pas non plus l’expulsion des fichés S. Durcir la loi serait très difficilement envisageable sans renforcer le contenu des “fiches S”.
Dominique Bernard, professeur de français, a été tué vendredi 13 octobre par un homme dont on a appris qu’il était fiché S. Ségolène Royal a réagi sur son compte Twitter, estimant qu’”au vu des faits qui ont justifié ce classement S”, ce dernier aurait dû être expulsé, emprisonné ou au minimum placé sous bracelet électronique. La question du traitement des personnes fichées S revient régulièrement dans le débat public. Pourtant, rien sur le plan juridique ne peut justifier la mise en œuvre de mesures portant atteinte à la liberté d’aller et de venir d’un individu au seul motif qu’il est fiché S.
La “fiche S” pour ”sûreté de l’État” est une des catégories du fichier des personnes recherchées (FPR), fichier policier géré par le ministère de l’Intérieur. Lorsqu’une personne est fichée S, cela signifie qu’elle fait “l’objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard”, conformément au décret du 28 mai 2010 relatif au FPR.
Le fichage S ne permet pas à lui seul d’expulser
La fiche S ne “constitue pas un indicateur de la dangerosité des personnes, ni un outil destiné au suivi de la radicalisation”, comme l’a rappelé un rapport du Sénat datant de 2018. C’est un outil de renseignement qui permet de surveiller les individus et d’adapter la réponse des forces de l’ordre lorsqu’ils contrôlent une personne fichée S notamment dans des lieux sensibles comme des aéroports.
Les inscriptions dans ce fichier “S” peuvent concerner un grand nombre de personnes et n’exigent pas de rapporter des informations circonstanciées quant à la menace qu’elles représentent. En 2018, un peu plus de 30 000 fiches S étaient recensées, regroupant notamment des hooligans, des militants écologistes, des personnes radicalisées…
Dès lors, en raison de la seule visée préventive de la fiche S, il n’est pas juridiquement possible d’expulser une personne du territoire national sur ce seul fondement. L’article L. 521-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) pose des conditions strictes pour mettre en œuvre cette sanction administrative.
Le fichage S ne permet pas à lui seul d’emprisonner ou de mettre sous bracelet
De même, l’emprisonnement est une peine prononcée à l’encontre d’une personne ayant été condamnée pour avoir commis une infraction pénale. Le placement sous bracelet électronique est une mesure de contrainte pouvant être prononcée à l’encontre d’une personne mise en cause lors d’une enquête ou d’une instruction ou à l’encontre d’une personne condamnée à titre de peine. Cela signifie que pour priver ou restreindre de liberté une personne, celle-ci doit être soupçonnée d’avoir commis une infraction ou être condamnée. Or, l’inscription “S” n’est en rien équivalente juridiquement à une mise en cause ou une condamnation : c’est plutôt une sorte d’alerte sur une menace.
Modifier la loi pour expulser les étrangers fichés S ?
Par une nouvelle réforme en discussion au Parlement, le ministre de l’Intérieur envisage de faciliter les expulsions. Il s’agirait de permettre d’expulser une personne du seul fait qu’elle est fichée S. Ce serait difficilement envisageable en raison du respect de certains droit fondamentaux protégés notamment par la Constitution. Il s’agit notamment des droits de la défense, du droit à une vie familiale normale, du droit à la protection de la santé, ou encore du droit au respect de la dignité et le droit à la vie si cette personne court un risque vital ou de traitements inhumains dans le pays de renvoi.
De plus, le risque serait élevé d’aboutir à une sorte de délit d’opinion si aucun élément tangible vient attester la dangerosité de l’individu fiché. À moins que le législateur ne crée une sorte de “fiche S+” dans laquelle figureraient des éléments suffisamment graves pour révéler une dangerosité certaine, et donc justifier l’expulsion. À suivre donc.
Les Surligneurs n’ont pas réussi à joindre l’intéressée.
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