Sahara occidental : comment le Maroc a réussi son tour de force
Dernière modification : 4 novembre 2024
Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste
Relecteur : Etienne Merle, journaliste
Dès 1975, la Cour internationale de justice indiquait que le Maroc n’avait pas souveraineté sur le Sahara occidental. Cinquante ans plus tard, au prix d’efforts diplomatiques et financiers considérables, le pays est pourtant parvenu à rallier le soutien de nombreux États, dont la France.
En visite d’État au Maroc, ce 29 octobre 2024, le président français a réaffirmé son soutien à « l’autonomie sous souveraineté marocaine du Sahara occidental ». Un appui qui va à rebours d’une décision de la Cour internationale de Justice vieille de près de 50 ans.
Les Surligneurs republient l’intégralité de leur article dédié à cette question et publié le 8 août 2024.
En matière de diplomatie, tout est affaire de patience. Celle du Maroc a fini par être récompensée, mardi 30 juillet, par la publication d’une lettre adressée par Emmanuel Macron au roi Mohamed VI.
Le président de la République y affirme pour la première fois que le plan marocain de partage de souveraineté du Sahara occidental constitue “la seule base pour aboutir à une solution politique juste, durable et négociée conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies”. Et d’ajouter, au risque se brouiller avec l’Algérie, soutien historique de l’indépendance du territoire : « Le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ».
Proposé en 2007 par le Maroc après plus de trente ans de conflits avec les indépendantistes sahraouis, le plan prévoit une organisation décentralisée du territoire situé au Nord Ouest de l’Afrique : la gestion de l’administration, de la police, de la justice et des infrastructures aux autorités locales, et les compétences constitutionnelles, la monnaie, la défense et les relations extérieures, entre autres, à l’État marocain.
“Aucun lien de souveraineté territoriale”
Jusqu’à présent, la France se contentait de soutenir ce plan comme l’une des solutions possibles. Et pour cause : s’il organise une certaine autonomie du territoire, sur le modèle de la Nouvelle-Calédonie vis-à-vis de la France par exemple, il n’en entérine pas moins la souveraineté marocaine. Or, selon le droit international, le peuple sahraoui a un droit à l’autodétermination, et devrait pouvoir se prononcer par référendum.
En 1975, au moment du départ du colon espagnol, présent depuis 1884, la Cour internationale de justice a rendu un avis consultatif à ce sujet, à la demande de l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) qui souhaitait clarifier la situation du territoire, disputé par le Maroc, la Mauritanie – pays frontaliers, avec l’Algérie – et le mouvement indépendantiste Front Polisario, créé en 1973.
À l’époque, l’AGNU a déjà adopté, en 1960, la résolution 1514 sur l’octroi de l’indépendance des pays et des peuples coloniaux, qui prévoit que les peuples décolonisés “déterminent librement leur statut politique”. Mais le Maroc invoque la théorie de la terra nullius, “territoire de personne”, selon laquelle, pendant très longtemps, l’occupation pacifique d’un territoire “sans maître” permettait à un État d’en acquérir la souveraineté. La présence du Maroc au Sahara occidental, au temps de l’Empire chérifien, lui permettrait de s’arroger le contrôle du pays.
Deux questions sont alors posées par l’Assemblée générale : “Le Sahara occidental était-il, au moment de la colonisation par l’Espagne, un territoire sans maître ?” et “quels étaient les liens juridiques de ce territoire avec le Royaume du Maroc et l’ensemble mauritanien ?”
À la première interrogation, la Cour répond par la négative, à l’unanimité. “Elle a expliqué que les tribus sahraouies, présentes sur le territoire avant l’époque coloniale, étaient suffisamment liées entre elles et hiérarchisées pour être considérées avoir administré le territoire, explique Yann Jurovics, maître de conférences en droit international public à l’université Paris Saclay et ancien réviseur juridique à la Cour. Ce n’est donc pas une terra nullius – une terre sans maître.”
Pour le juriste, “dès lors que l’on sort de cette catégorie juridique, le Maroc ne peut plus prendre possession de la terre sur le fondement de cette théorie”.
C’est donc logiquement que la Cour a répondu à la seconde question en expliquant que, s’il avait bien existé un “lien juridique d’allégeance” entre le sultan du Maroc et certaines tribus vivants sur le territoire dans le passé, “les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale” avec le Royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien.
Et de conclure : “La Cour n’a donc pas constaté l’existence de liens juridiques de nature à modifier l’application de la résolution 1514 de l’Assemblée générale des Nations Unies […] et en particulier l’application du principe d’autodétermination.”
Projet avorté de référendum
Mais le Roi du Maroc, Hassan II, n’en reste pas là : moins d’un mois plus tard, le 6 novembre 1975, il appelle les marocains à une grande marche pacifique vers le Sahara occidental, dans le but de récupérer le territoire. “Il vient d’échapper en 1971 et 1972 à deux tentatives de régicide, et il est affaibli. Pour recomposer le paysage politique autour du trône, il érige le Sahara occidental en grande cause nationale qui supplante les divergences politiques”, analyse Kader Abderrahim, maître de conférences à Sciences Po et auteur du livre Géopolitique du Maroc.
Environ 350 000 volontaires civils marocains rejoignent ce qui reste connu comme la “marche verte”. L’ampleur de la mobilisation pousse l’Espagne à concéder un transfert de souveraineté au Maroc et à la Mauritanie, entériné par les accords de Madrid, signés le 14 novembre de la même année.
Ils envahissent le territoire, en dépit de l’avis consultatif – non contraignant – de la Cour internationale de justice. Le 27 février 1976, le Front Polisario contre-attaque en proclamant la République arabe sahraouie démocratique (RASD), qui obtient immédiatement le soutien du voisin algérien.
Après 15 ans d’affrontements, qui poussent des centaines de milliers de Sahraouis à fuir vers l’Algérie, le Maroc et le Front Polisario acceptent, le 30 août 1988, la proposition du secrétaire général des Nations unies d’alors, Javier Pérez de Cuéllar, d’un référendum d’autodétermination.
Un cessez-le-feu est imposé par l’ONU en 1991, et le Conseil de sécurité adopte une résolution pour créer une mission des Nations unies spécifiquement dédiée à l’organisation du référendum, censé laisser le choix entre un rattachement au Maroc et l’accession à l’indépendance.
Mais il n’a jamais eu lieu. Les deux parties s’écharpent au sujet du corps électoral : alors que le Front Polisario souhaite que seuls les habitants présents avant le départ de l’Espagne en 1976 puissent voter, le Maroc, qui a incité ses ressortissants à s’installer sur le territoire pendant des décennies, – les marocains seraient aujourd’hui deux fois plus nombreux que les sahraouis, sur une population d’environ 500 000 personnes – insiste pour leur ouvrir le vote.
Diplomatie active
Dans ce contexte de paralysie des négociations, le Maroc propose, le 11 avril 2007, son fameux plan pour le partage de la souveraineté. Immédiatement rejeté par le mouvement indépendantiste, il ouvre néanmoins un chemin vers l’acceptation internationale de la souveraineté marocaine sur le Sahara.
Le 30 avril, alors que le Conseil de sécurité des Nations unies adopte une résolution pour proroger le mandat de la mission pour l’organisation d’un référendum, il se félicite également des “efforts sérieux et crédibles faits par le Maroc” et appelle à des discussions directes entre les parties, en présence des “États voisins”.
À partir des années 2010, le roi Mohamed VI, massivement soutenu par la population marocaine, multiplie les actions diplomatiques à destination des pays d’Amérique latine et d’Afrique, en majorité favorables à l’indépendance du Sahara occidental, soutenue par l’Algérie.
Il passe de nombreux accords de coopération économiques, pour la construction d’infrastructures au Sénégal, notamment des logements sociaux, pour l’agriculture avec la Côte d’Ivoire, pour développer l’industrie du bois au Gabon, ou encore pour développer des projets immobiliers et touristiques au Rwanda.
Alors que plus de 80 pays reconnaissaient la République arabe sahraouie démocratique (RASD) au début des années 1980, ce qui lui a permis de décrocher une place au sein de l’Union Africaine (UA) en 1982, le soutien à l’indépendance s’amenuise au fil des années et des actions diplomatiques menées par le Royaume.
Entre 2014 et 2017, le Gabon, le Malawi, la Guinée-Bissau, la Zambie, le Lesotho, la République centrafricaine ou le Togo retirent leur reconnaissance de la RASD et se prononcent en faveur d’une solution négociée à l’avantage du Maroc.
Lors du 28ème sommet de l’Union Africaine à Addis-Abeba en 2017, le pays, qui avait quitté l’organisation en 1984 après l’entrée de la RADS, la réintègre, soutenu par une majorité d’États membres. Un véritable “tournant” dans la lutte d’influence du Maroc, selon le spécialiste de la géopolitique du Maghreb Kader Abderrahim.
“Politique du fait accompli”
En parallèle, le Maroc, qui occupe 80% du territoire du Sahara occidental – les 20% restants étant contrôlés par le Front Polisaro – a mené une politique de développement économique du territoire pour y asseoir son contrôle.
En novembre 2015, Mohamed VI lance le plan de développement des provinces du Sud (PDPS), afin de faire du Sahara occidental une sorte de “hub” entre le Royaume et l’Afrique Subsaharienne.
Une enveloppe de 7,5 milliards d’euros est prévue pour mener à bien 650 projets dans les domaines économique, social et environnemental jusqu’en 2021. Depuis, 267 nouveaux projets ont été lancés, pour plus de 3 milliards d’euros.
“Le Royaume mène une politique du fait accompli : puisqu’il contrôle le territoire, il le développe, investit dans des infrastructures, des universités et des hôtels. C’est un moyen d’emporter le soutien local, mais aussi le consensus international”, explique Kader Abderrahim. Et d’ajouter : “Le Maroc montre qu’il peut assurer la stabilité d’une région en proie à des menaces plurielles, comme le développement de l’État islamique et des nombreux trafics, d’armes, de drogue et d’êtres humains. Cela permet de faire du Sahara un enjeu géostratégique important.”
Pour le chercheur, cette stratégie a fortement contribué à la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, avec la signature des accords d’Abraham en 2021, sous la houlette du président américain Donald Trump. “C’est le deuxième tournant, après le retour du Maroc dans l’UA, estime-t-il. Le Maroc a fait de la Realpolitik, en reconnaissant l’État d’Israël, en échange de la reconnaissance de sa souveraineté”.
Un soutien “franc et massif” qui “permet au Maroc de se trouver en position de force”, selon Kader Abderrahim. Et qui pourrait avoir joué, à son tour, sur la clarification de la position de la France mardi 30 juillet : “Si Donald Trump revenait au pouvoir, il pourrait y avoir une accélération sur ce dossier, et la France ne peut pas être en dehors. Trente-huit entreprises du CAC 40 ont leur siège au Maroc, et entre 60 000 et 70 000 français y vivent, les enjeux sont considérables”, abonde-t-il.
Une chose est sûre : la reconnaissance de la proposition marocaine comme formule la plus crédible vient couronner les succès diplomatiques du Maroc depuis une décennie.
Cela ne veut toutefois pas dire que le Royaume a gagné la partie. “Sur le continent africain, les deux géants que sont l’Algérie et l’Afrique du Sud continuent de soutenir le référendum”, rappelle Kader Abderrahim.
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