Richard Ferrand souhaite modifier la Constitution pour permettre un troisième mandat présidentiel

Création : 27 juin 2023

Auteur : Guillaume Baticle, master de droit public, Université de Picardie Jules Verne 

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Relecteurs : Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public, Université de Poitiers 

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay 

Liens d’intérêts : aucun

Fonctions politiques ou similaires : aucune

Secrétariat de rédaction : Yeni Daimallah et Emma Cacciamani

 

Source : Le Figaro, 18 juin 2023

Pour prétendre à un troisième mandat consécutif, Emmanuel Macron doit faire modifier la Constitution, comme le suggère d’ailleurs Richard Ferrand. Avec, en l’état des forces, aucune chance d’aboutir. De plus, une telle réforme rapprocherait la France de pays comme la Russie, la Chine, le Congo ou encore le Tchad…

Dans une interview donnée au Figaro, Richard Ferrand, ancien président de l’Assemblée nationale, a été interrogé sur la possibilité ou non pour Emmanuel Macron de se représenter à l’élection présidentielle de 2027. Il a exprimé son regret du fait que les mandats présidentiels soient limités à deux consécutifs. Or revenir sur cette limite semble bien compliqué.

LA LIMITATION À DEUX MANDATS “CONSÉCUTIFS” PAR LA CONSTITUTION : INTERPRÉTATIONS

La question revient régulièrement depuis la réélection d’Emmanuel Macron en mai 2022 : peut-il se présenter pour un troisième mandat consécutif en 2027 ? La Constitution répond par la négative : “Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs”. Cette limitation, voulue par Nicolas Sarkozy, a été introduite par la réforme constitutionnelle de 2008, à l’initiative du gouvernement Fillon. Elle mettait fin à la possibilité pour un Président de se présenter indéfiniment à sa succession, tous les cinq ans. 

Un doute persiste cependant sur l’interprétation que l’on retient de l’expression « deux mandats consécutifs« . Faut-il comprendre un mandat complet, au sens où le Président doit avoir rempli ses deux mandats jusqu’à la tenue régulière de l’élection présidentielle suivante, pour être considéré comme ne pouvant plus se présenter ? Si c’est le cas, Emmanuel Macron pourrait démissionner avant la fin de son second mandat et se présenter à sa succession, comme si son mandat actuel n’avait jamais eu lieu puisqu’il n’a pas atteint son terme de cinq ans. 

Une autre interprétation ouvrirait la voie à un troisième mandat non consécutif : Emmanuel Macron ayant été élu puis réélu consécutivement, il ne pourrait pas y prétendre une fois de plus à la suite. Il pourrait cependant attendre l’élection présidentielle de 2032 pour prétendre de nouveau à la magistrature suprême, puisque la Constitution prévoit bien que sont interdits seulement plus de deux mandats “consécutifs”. C’est le schéma suivi par le président russe Vladimir Poutine, lorsque la Constitution russe limitait encore le nombre de mandats à deux consécutifs. Il laisse Dmitri Medvedev se porter candidat le temps d’une mandature avant de se représenter. Entre-temps, Vladimir Poutine devient le Premier ministre de Dmitri Medvedev.

Pour clarifier la question, la Constitution pourrait être précisée, à moins que le  Conseil constitutionnel ne soit appelé à fournir son interprétation de la Constitution, si d’aventure Emmanuel Macron essayait de se représenter lors d’une élection anticipée provoquée par sa démission, et qu’un recours était formé contre cette candidature. Le Conseil d’État peut également rendre un avis si le gouvernement le sollicite sur cette question.

UNE MODIFICATION DE LA CONSTITUTION DIFFICILE ÉTANT DONNÉ LES RAPPORTS DE FORCE AU PARLEMENT

Richard Ferrand semble suivre la première interprétation de la Constitution car il en souhaite la modification pour permettre au président Macron de se présenter une troisième fois consécutive à l’élection. Il est revenu sur ses propos depuis, accusant une mauvaise interprétation. La question est tout de même pertinente. La Constitution peut être réformée par la présentation d’un projet ou d’une proposition de loi constitutionnelle. Cette proposition, déposée par un parlementaire, doit d’abord être adoptée en des termes identiques par les deux chambres du Parlement, puis elle doit être approuvée par référendum. Le président de la République a le choix de soumettre la proposition au référendum, mais s’il ne le fait pas, la proposition n’ira pas plus loin. C’est d’ailleurs pourquoi la proposition de loi de la NUPES de constitutionnaliser le droit à l’IVG n’a aucune chance d’aboutir, le groupe LR au Sénat ayant substantiellement modifié le texte.

La révision de la Constitution peut aussi passer par un projet de loi qui, après adoption par les deux chambres du Parlement, peut être soumis au Parlement réuni en Congrès. Le texte est adopté si la majorité des 3/5èmes est réunie. Faire adopter le texte par le Congrès évite d’organiser un référendum. C’est ainsi que le Président Sarkozy a fait adopter le projet de loi constitutionnelle de 2008, qui avait notamment pour objet, justement, de limiter le nombre de mandats consécutifs à deux. C’est également le chemin que le Président Macron et le gouvernement Borne souhaitent prendre, en déposant un projet de loi visant à inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution.

DES EXEMPLES À L’ÉTRANGER QUI S’ÉLOIGNENT DE L’ÉTAT DE DROIT

L’exemple le plus récent d’une telle réforme est celui du président russe Poutine, à qui la Constitution permet de prétendre à deux mandats supplémentaires après les élections de 2024. En République populaire de Chine, le président Xi Jinping a fait modifier la Constitution chinoise pour tout simplement supprimer la limite de mandats présidentiels. Les présidents de certains pays africains se sont ainsi affranchis de toute limite : Denis Sassou Nguesso en République du Congo (7e mandat), Yoweri Museveni en Ouganda (6e mandat), Idriss Déby au Tchad (6e mandat, décédé en fonction) et Ismail Omar Guelleh à Djibouti (5e mandat), pour ne citer qu’eux.

Chez nos voisins européens et outre-atlantique, il existe des limites aux mandats consécutifs. En Allemagne, à l’instar de la France, le Président fédéral ne peut exercer que deux mandats consécutifs (Article 54 de la Loi Fondamentale). Il en va de même pour la Pologne et la Hongrie. Aux États-Unis, le 22e amendement de la Constitution limite les mandats présidentiels à deux. En Italie, il n’existe pas de limite au nombre de mandats que le Président peut briguer (Article 85 de la Constitution italienne), mais une tradition veut qu’il ne se représente pas à la fin de son mandat. Un assouplissement des limites de mandats peut parfois être envisagé dans les démocraties libérales, pourvu que les élections se déroulent régulièrement et que le pluralisme politique soit effectif.

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