Retrait des Européens du Mali : illustration d’une solidarité européenne ou d’un échec militaire ?

Création : 3 mars 2022
Dernière modification : 27 juin 2022

Autrice: Yasmine Sami, master droits de l’homme et justice internationale, Université Paris-Panthéon-Assas

Relectrice : Delphine Burriez, maître de conférences en droit public, Université Paris-Panthéon-Assas

 

Pour la première fois en 2015, la France demandé secours aux Européens au Mali. Venus pour soutenir la lutte contre le terrorisme, Européens et Français doivent quitter le territoire, à la demande du président malien.

Les raisons de la mobilisation française et européenne dans la région du Sahel  

En janvier 2013, l’armée française a dans un premier temps été déployée au Mali dans le cadre de l’opération Serval et avait pour objectif de soutenir les troupes maliennes face à l’avancée des forces djihadistes. L’opération Barkhane, menée dès juillet 2014 dans un cadre régional, succéda alors à l’opération initiale et visait à lutter contre les groupes djihadistes qui progressaient dans l’ensemble de la région du Sahel. L’armée française, principale force armée mobilisée, est d’abord secondée par les forces régionales, avant que la France ne lance un appel à l’aide à ses partenaires européens (ce qui est inédit). Le 20 juillet 2020 fut lancée la Task Force Tabuka, force opérationnelle intégrée à l’opération Barkhane et composée principalement d’unités des forces spéciales européennes.

Les fondements juridiques qui ont permis à la France et à ses alliés d’intervenir au Mali 

Il existe en vertu de la Charte des Nations Unies une prohibition du recours à la force armée. Ainsi, l’emploi de la force militaire par un État membre de l’ONU dans un autre État ou contre celui-ci est illégal en vertu du droit international. Trois exceptions existent néanmoins : une autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU, un recours à la légitime défense ou une demande explicite de l’État concerné.

À ce titre, en janvier 2013, est formulée par le président par intérim malien, Dioncounda Traoré, une demande d’assistance à destination des autorités françaises. Quelques jours plus tôt est également adoptée par le Conseil de sécurité onusien la résolution 2085 autorisant le déploiement d’une mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA qui deviendra par la suite MINUSMA), afin de soutenir le pays face à la progression des groupes terroristes dans les régions du nord.

L’intervention militaire française peut ainsi être justifiée par deux des exceptions prévues par le droit international : d’une part la demande d’intervention française explicite du président Dioncounda Traoré et d’autre part la résolution onusienne permettant aux forces françaises et européennes de se déployer dans le cadre de la MINUSMA.

Comment la France a-t-elle juridiquement entraîné ses alliés européens au Sahel ? 

Dans une logique similaire à celle de l’OTAN, existe, à l’échelle européenne, une clause de défense mutuelle. Cette dernière est introduite en 2009 dans le traité sur l’Union européenne. L’article consacre pour les États membres de l’Union le devoir de porter assistance à un autre État de l’Union si celui-ci fait l’objet “d’une agression armée sur son territoire”.

Ce mécanisme de défense mutuelle ne requiert cependant pas explicitement une assistance de nature militaire. Une marge d’appréciation est laissée aux États quant à la nature de leur coopération, ce qui ne peut que conforter la politique de neutralité menée par certains États européens tels que la Suède ou la Finlande.

Activation de la clause de défense mutuelle du traité sur l’Union européenne 

La clause de défense mutuelle fut pour la première fois activée en 2015 par la France. Cette dernière, victime d’attaques djihadistes à répétition sur son territoire, souhaitait renforcer sa présence dans la région du Sahel pour faire obstacle à la montée des groupes terroristes. Pour ce faire, la France a demandé l’aide des autres pays de l’Union européenne, conformément au traité sur l’Union européenne.

Cette demande fut accueillie favorablement par l’adoption d’une résolution le 21 janvier 2016 du Parlement européen. Ces derniers soulignèrent à cet égard que l’activation pionnière de cette clause était “une occasion unique d’établir les bases d’une Union européenne de la défense forte et durable” et qu’une telle coopération devrait inciter à renforcer la sécurité et la défense européenne.

Le traité sur l’Union européenne ne prévoyant pas la nature de l’assistance, des pourparlers bilatéraux furent organisés par la France avec les autres États membres afin de définir l’aide qui devait être apportée : certains ont accepté de renforcer leur présence voire de rejoindre les opérations déjà menées dans le cadre d’opérations internationales, ce qui permettait de transférer les forces françaises dans une autre région du Sahel, tandis que d’autres États ont accepté de s’engager directement dans l’opération Barkhane puis au sein de la Task Force Tabuka.

Le retrait des forces françaises et alliées face à l’hostilité grandissante de la junte malienne 

Alors que le point de départ du déploiement français au Mali puis dans l’ensemble du Sahel s’ancre dans un partenariat de défense franco-malien témoignant du consentement de l’État africain face à l’intervention française, la dynamique politique sur le terrain a drastiquement changé. Deux putschs en moins d’un an, dont le dernier, en date du 26 mai 2021, ont fait accéder au pouvoir une junte hostile à l’opération Barkhane.

Le 16 janvier, Abdoulaye Diop, ministre malien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, demandait officiellement à la France de réviser les accords de défense qui lient les deux pays. En parallèle, l’arrivée de soldats danois au Mali dans le cadre de la Task Force Tabuka a, fin janvier, fait l’objet d’incessantes demandes de départ immédiat de la part du gouvernement malien, menant au retrait des forces danoises.

En droit international, l’hostilité malienne à l’égard de l’opération Barkhane et de la Task Force Tabuka peut désormais s’analyser comme une absence de consentement de l’État d’accueil vis-à-vis d’une intervention militaire étrangère sur son territoire. Dans un dernier effort de coopération, les pays engagés dans la Task Force Tabuka affirmèrent dans un communiqué conjoint que l’ensemble des partenaires européens conduisaient leur action “conformément au cadre juridique solide qui a été agréé avec le gouvernement souverain du Mali, comprenant notamment une invitation formelle adressée par les autorités maliennes aux partenaires internationaux”.

Force est de constater, à la suite à l’allocution du président Emmanuel Macron le 17 janvier, que les récents désaccords avec le gouvernement malien sont tout de même parvenus à mener à la fin de l’opération Barkhane et au retrait des forces européennes, faute désormais de fondement juridique.

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