Réforme des retraites : pourquoi le deuxième RIP pourrait être invalidé par le Conseil constitutionnel
Autrice : Juliette Bezat, journaliste
Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris Saclay
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng
Référendum d’initiative partagée (RIP), deuxième service ! Ce mercredi 3 mai, le Conseil constitutionnel se prononce sur la conformité du second RIP déposé par les sénateurs de gauche pour maintenir le seuil de l’âge légal de départ à la retraite en-dessous de 62 ans. Toutefois, cette nouvelle proposition, censée corriger les faiblesses du premier texte, semble avoir très peu de chances de passer l’épreuve du Conseil constitutionnel.
La gauche avait anticipé. Le 14 avril, les Sages de la rue de Montpensier se sont prononcés sur la conformité de la réforme des retraites à la Constitution, ainsi que sur la proposition de référendum déposée quelques semaines plus tôt par les parlementaires des groupes écologiste, socialiste, insoumis et communiste. Le Conseil constitutionnel a invalidé cette proposition dont l’article unique n’apportait pas de changement de l’état du droit existant et qui, par là même, ne pouvait être considérée comme une réforme conformément à l’article 11 de la Constitution. Consciente des fragilités du texte, la gauche a alors déposé, dès le 13 avril, soit deux jours avant la promulgation de la loi portant réforme des retraites, une nouvelle proposition signée par 252 parlementaires sur le bureau du président du Sénat.
Un premier obstacle – le délai d’un an après la loi – sera surmonté
Première condition pour être validée par le Conseil constitutionnel, une proposition référendaire ne pouvait en principe porter que sur une loi promulguée plus d’un an auparavant. Toutefois, le 10 avril 2019, alors que la privatisation du groupe ADP était envisagée dans le cadre du projet de loi PACTE, des parlementaires de droite et de gauche co-signèrent et déposèrent une proposition de loi référendaire “visant à affirmer le caractère de service public national de l’exploitation des aérodromes de Paris”, à la veille même de l’adoption définitive du projet de loi. Pour pouvoir l’examiner, le Conseil constitutionnel décida alors de retenir l’état du droit en vigueur à la date de la saisine, c’est-à-dire au moment où le RIP lui a été transmis. Autrement dit, pour le Conseil constitutionnel, puisque le projet de loi n’est pas encore adopté au moment du dépôt du projet de RIP, ce dernier doit être comparé à l’état du droit existant, qui date de plus d’un an. L’obstacle du délai d’un an après la loi adoptée est donc levé. Selon Benjamin Morel, maître de conférence en droit public à l’Université Paris-Assas, cette décision du 9 mai 2019 montre une évolution jurisprudentielle favorable au RIP, puisqu’elle permet de revenir sur une loi avant qu’elle soit promulguée.
Ainsi, même si elle porte sur une loi promulguée moins d’un an auparavant, une proposition de loi référendaire peut être validée par le Conseil constitutionnel, dès lors qu’elle a été déposée et enregistrée avant la promulgation de cette même loi. C’est bien le cas du RIP relatif à la réforme des retraites.
Le deuxième obstacle : une réforme relative à la politique économique, sociale
Deuxième condition, le RIP doit porter notamment sur des “réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent” selon l’article 11 de la Constitution. Il faut donc proposer une modification substantielle de l’état du droit en vigueur au moment de la saisine du Conseil constitutionnel, conformément à l’article 11. Sur ce point, les constitutionnalistes sont aussi sceptiques. D’abord, comme l’observe Benjamin Morel, dans le cas présent “on se projette dans un état de légalité qui n’est plus, car on délibère le 3 mai sur une proposition déposée le 13 avril, laquelle est en fait une confirmation du droit en vigueur à cette date, mais qui vise à contester une loi qui a été promulguée entre temps”. Autrement dit, la réforme proposée par le RIP porte sur des textes antérieurs à la loi portant l’âge de la retraite à 64 ans, promulguée le 15 avril. Or ces textes n’existent plus à la date du 3 mai.
Ensuite, la loi proposée sous forme de RIP doit être substantielle. Le premier RIP a été rejeté par le Conseil constitutionnel parce qu’il se limitait à maintenir l’âge de 62 et donc à maintenir le droit existant avant le 15 avril. Ce n’était pas une réforme. La seconde proposition de RIP vise désormais à “interdire un âge légal de départ à la retraite supérieur à 62 ans”. Cela suffit-il à présenter le RIP comme une“réforme relative à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation” ? Selon Benjamin Morel, cet article premier ne modifie toujours pas l’état du droit en vigueur à la date du 13 avril. Il n’y a donc aucune raison juridique pour que, le 3 mai, le Conseil constitutionnel revienne sur sa décision initiale du 14 avril.
Un deuxième article pour donner de la substance au projet de RIP ?
Pour “sécuriser la chose”, l’article premier a été complété cette fois par un second article “qui crée un élément de réforme”, selon Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat : “une recette fiscale liée aux ressources du capital pour sécuriser le financement de la retraite par répartition”. Il s’agissait donc de proposer sous forme de RIP l’alternative que les syndicats et partis de gauche proposaient pour éviter le report de l’âge de la retraite : augmenter certains impôts. La question est donc de savoir si cet ajout, qui fait l’objet d’un second article dans la proposition de RIP, suffira aux yeux des membres du Conseil constitutionnel.
Mais avant même de répondre à cette question, le Conseil constitutionnel devra s’en poser une autre : l’inconstitutionnalité du premier article peut-elle entraîner la l’inconstitutionnalité de l’ensemble de la proposition de RIP ? Selon Benjamin Morel, il est peu probable que le Conseil décide de censurer le premier article pour “laisser prospérer le second” car il s’agit d’un tout : le diviser peut le dénaturer, et ce n’est pas le rôle du Conseil constitutionnel. Si toutefois la proposition de RIP triomphe de cet obstacle majeur, elle n’en sera pas pour autant arrivée au terme de son chemin semé d’embûches !
Modifier le seul taux d’un impôt n’est pas une réforme et ne justifie pas un RIP
En effet, quand bien même l’invalidité du premier article n’entraînerait pas l’invalidation de l’ensemble de la proposition, l’article second modifiant l’état du droit risque d’être lui aussi rejeté. Ajouté dans le but de “porter une vraie proposition de réforme” selon Patrick Kanner, il ne fait que modifier les taux de la Contribution sociale généralisée (CSG). Or, modifier le taux d’un impôt qui existe déjà, est-ce une réforme au sens de l’article 11 de la Constitution ?
À cet égard, Benjamin Morel rappelle que le Conseil constitutionnel a rendu une décision très récente qui “rend peu probable la possibilité que cet article donne à la proposition le caractère d’une réforme”. Dans leur décision constitutionnelle du 25 octobre 2022, les Sages se sont en effet prononcés sur le RIP relatif à la taxation des superprofits déposée par des parlementaires de gauche. Il s’agissait là aussi de modifier un taux d’imposition avec une contribution additionnelle sur les bénéfices exceptionnels des grandes entreprises. Or, selon le Conseil constitutionnel, cette proposition de RIP avait pour seul effet d’abonder le budget de l’État par l’instauration d’une mesure “qui se borne à augmenter le niveau de l’imposition existante des bénéfices de certaines sociétés”. Autrement dit, cette réforme ne portait pas sur une réforme relative à la politique de la Nation, au sens de l’article 11 de la Constitution.
“Est-ce que l’article premier contamine l’ensemble du texte ? Je pense que la réponse est oui. Est-ce que l’article 2 est une réforme ? La réponse est non.” (Benjamin Morel)
Si le Conseil constitutionnel ne définit certes pas clairement ce qu’est une réforme au sens de l’article 11, en revanche il dit ce qui n’en est pas une. “En l’occurrence, il considère que la variation d’un taux d’imposition n’est pas une réforme”, précise Benjamin Morel, puisqu’elle n’entraîne pas de changement majeur en matière de fiscalité. Le constitutionnaliste ajoute : “cette décision jurisprudentielle ne date pas des années 1970, elle date de l’automne 2022. C’est très récent, donc il n’y a aucune raison que le Conseil constitutionnel aille à l’encontre de sa propre jurisprudence”.
Pour résumer deux questions se posent donc, qui déterminent la fortune de cette proposition de RIP, comme le résume Benjamin Morel : “est-ce que l’article premier contamine l’ensemble du texte ? Je pense que la réponse est oui. Est-ce que l’article 2 est une réforme ? La réponse est non”. Raison pour laquelle le constitutionnaliste parle d’une “occasion manquée”, car d’autres options pouvaient être envisagées. Il était ainsi possible de porter l’âge légal de la retraite à 62 ans et un jour, un mois ou un trimestre. Ou 60 ans, puisque c’était dans le programme de certains candidats à l’élection présidentielle.
Cependant, quelle que soit la décision du Conseil constitutionnel, la bataille politique n’est pas terminée : le groupe LIOT à l’Assemblée nationale a déposé, le 20 avril, une proposition de loi visant à abroger le recul de l’âge légal du départ à la retraite. Signée par les 147 députés de gauche et les 16 députés LIOT, elle propose également l’ouverture d’une grande convention sociale. Elle devrait être examinée lors de la niche parlementaire du groupe LIOT, le 8 juin prochain.
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