Chicaneries de juristes ? Peut-être… Raphaël Glucksmann, tête de liste Place Publique – Parti Socialiste pour les élections européennes souhaite profondément réformer la fiscalité européenne, mais comme il sait que certains Etats membres s’y opposeront alors qu’une telle réforme suppose l’unanimité des 27 Etats de l’Union, il propose d’abolir ce qu’il appelle le “droit de veto“, qui permet à un seul Etat membre d’empêcher une prise de décision devant se faire à l’unanimité des 27.
Reste que le droit de veto n’existe pas formellement en droit au sein de l’Union européenne comme il existe par exemple au Conseil de sécurité des Nations Unies. Le résultat n’est certes pas très différent : un Etat bloque les autres. Mais juridiquement et symboliquement, la démarche est très différente.
Le vote à l’unanimité : un Etat et tous les autres
En matière de fiscalité, c’est le Conseil, réunissant les ministres des États membres, qui décide seul. Et il doit décider à l’unanimité de ses 27 membres (article 113 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne). Le vote à l’unanimité est un processus de décision au sein de l’UE où chaque Etat doit être d’accord avec une proposition, ou s’abstienne, pour que cette proposition soit adoptée. L’exigence d’unanimité se retrouve pour les décisions du Conseil de l’Union, qui regroupe les ministres des États membres par dans chaque domaine d’activité.
Ainsi, fin 2023, le Conseil a décidé d’ouvrir les négociations d’adhésion avec l’Ukraine. L’unanimité des Etats était nécessaire, et la Hongrie de Viktor Orban, pour ne pas voter contre et bloquer le processus, s’est abstenue lors du vote.
L’unanimité est donc requise par les traités pour les sujets sur lesquels les États membres ont voulu sauvegarder leurs intérêts, comme la politique étrangère et de défense, les adhésions à l’Union ou encore la fiscalité dite indirecte (TVA, taxes sur les produits de consommation, etc.) , ce que vise Raphaël Glucksmann dans sa proposition.
En somme, une seule voix dissonante et la proposition est rejetée. C‘est bien un veto dans les faits car une voix bloque toute adoption. Mais cela reste un refus d’un Etat, qui n’engage que lui et ne constitue pas en droit un droit de veto comme on peut le rencontrer devant les instances de l’ONU.
Le droit de veto : un Etat contre tous les autres
Le droit de veto à l’ONU est accordé aux cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies : les États-Unis, la Russie, la Chine, la France et le Royaume-Uni. L’article 27 de la Charte des Nations-Unies dispose : “Les décisions du Conseil de sécurité (hors questions de procédure) sont prises par un vote affirmatif de neuf de ses membres dans lequel sont comprises les voix de tous les membres permanents“. C’est donc aussi une règle de l’unanimité, mais une manière alambiquée de créer une unanimité sélective, limitée aux cinq membres permanents, auxquels la Charte reconnaît la faculté de s’opposer aux vœux des autres membres.
Juridiquement, ce n’est pas seulement l’expression d’un désaccord, c’est la reconnaissance d’un pouvoir de blocage. Les autres Etats membres des Nations Unies ne disposent pas de ce droit de veto, qui marque symboliquement ainsi une prépondérance – très contestée au demeurant – de cinq États sur tous les autres.
Ainsi, avant que le Conseil de sécurité n’adopte le 25 mars dernier une résolution pour demander un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, les États-Unis ont longtemps opposé leur veto, bloquant l’adoption d’une telle résolution.
Unanimité ou veto, du pareil au même ?
Juridiquement et symboliquement, le veto et l’unanimité n’ont pas la même portée : le droit de véto en vigueur à l’ONU crée une “caste d’Etats” au-dessus des autres, alors que la règle de l’unanimité du droit européen souligne au contraire l’égalité entre tous les Etats membres, quel que soit leur poids dans l’UE. C’est pourquoi bien des Etats membres tiennent à cette règle de l’unanimité pour sauvegarder leurs intérêts propres, et obtenir au besoin des dérogations aux traités pour ne pas bloquer les autres Etats. Sans cette règle, bien des petits Etats européens auraient refusé d’intégrer l’UE.
Reste qu’en pratique, ces deux procédures ont les mêmes conséquences : un Etat refuse et les autres sont bloqués sauf à accorder une dérogation à celui qui s’oppose. En somme, Raphaël Glucksmann ne veut pas supprimer le droit de veto : il souhaite seulement limiter les cas de vote à l’unanimité et donc réformer les traités européens. Reste qu’il lui faudra l’unanimité pour cela…
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