Quelles sont les règles juridiques qui ont entouré le processus de nomination du nouveau Gouvernement de Gabriel Attal ?
Auteur : Luc Dord, master de droit parlementaire, Université Aix-Marseille
Relectrice : Sophie Lamouroux, maître de conférences HDR en droit public, Université Aix-Marseille
Secrétariat de rédaction : Guillaume Baticle
C’est désormais officiel, lundi 8 janvier en fin d’après-midi, et ce après quelques jours de rumeurs, Elisabeth Borne, Premier ministre depuis deux ans a remis sa démission et celle de son Gouvernement au Président de la République. Le lendemain matin vers midi, le nouveau Premier ministre Gabriel Attal a été nommé. Mais quel est le processus légal pour la nomination d’un nouveau Premier ministre et de son Gouvernement ?
D’abord la nomination du Premier ministre par le Président de la République
Avant la nomination du Gouvernement dans son ensemble, le Président va choisir un Premier ministre. Ce choix relève de l’article 8 alinéa 1er de la Constitution de la Vème République : “Le Président de la République nomme le Premier ministre…”. Il s’agit d’une attribution du Président de la République appartenant à son domaine réservé.
Ce choix est très libre pour le Président, car la Constitution ne pose aucune contrainte particulière. Le Président n’est pas obligé de nommer un député, un sénateur, ou un quelconque élu ; par exemple, Elisabeth Borne était certes ministre avant sa nomination, mais durant sa vie elle n’avait jamais été élue : elle a mené une longue carrière dans la fonction publique.
Dans la pratique cependant, il nomme une personne avec il s’entend bien politiquement pour faire appliquer son programme. Il existe une hypothèse où son choix est très limité, c’est lors des périodes de cohabitation (c’est-à-dire quand la majorité à l’Assemblée nationale n’est pas identique à la majorité présidentielle) il est alors contraint de nommer un Premier ministre de la majorité parlementaire.
Ensuite la nomination des ministres composant le Gouvernement
Après la nomination du Premier ministre, il y a la nomination des autres ministres du Gouvernement, en vertu de l’article 8 alinéa 2 de la Constitution : “Sur la proposition du Premier ministre, il [le Président] nomme les autres membres du Gouvernement et met fin à leurs fonctions”.
La Constitution prévoit ainsi que les noms des futurs ministres sont bel et bien choisis par le Premier ministre, le Président de la République n’étant chargé que de leur nomination. Mais il a la capacité de refuser des noms de ministre pour le futur Gouvernement.
La pratique institutionnelle a cependant démontré qu’en réalité que le choix des ministres est fait dans le meilleur des cas par le Premier ministre et le Président de la République d’un commun accord ; mais le plus souvent les choix sont faits d’autorité par le Président de la République, qui les impose à son Premier ministre. Le Premier ministre étant nommé par le Président, il est difficile (et même impossible sauf à démissionner d’emblée) pour lui de refuser les choix du Président, il est soumis à son autorité.
Comme pour le Premier ministre, on notera que le choix des personnalités qui seront ministres est lui aussi très large, il n’y a toujours pas d’obligations légales de nommer un élu, ou une personne qui est un homme politique, ou même qui est un professionnel de son ministère. Il n’y a pas non plus d’obstacle juridique à nommer une personne qui est mise en examen dans une affaire pénale. Cependant au fil du temps et bien qu’elles ne soient pas imposées par la loi, des obligations se sont installées pour les nominations, comme celles : de la parité, ou de l’équilibre géographique. Il y a aussi régulièrement la question de l’équilibre politique, pour satisfaire tous les courants idéologiques de la majorité.
Un Parlement sans initiative, une particularité française
Et le Parlement dans tout ça ? Joue-t-il un rôle dans la nomination du nouveau Gouvernement ? Dans un régime parlementaire classique, la nomination d’un nouveau Gouvernement est conditionnée par la validation du Parlement, à travers une procédure appelée vote de confiance.
Cette procédure consiste pour le nouveau Gouvernement à se présenter devant le Parlement, à faire une déclaration sur la politique qu’il entend mener, et ensuite le Parlement procède à un vote pour décider d’accorder ou non sa confiance au nouveau Gouvernement. S’il y a une majorité de votes positifs, il est considéré que la confiance est accordée au nouveau Gouvernement et il est officiellement institué. En revanche, si la majorité des votes est négative, le Gouvernement ne peut continuer de travailler et doit démissionner. Ce mécanisme est par exemple en vigueur au Royaume-Uni, régime parlementaire de référence.
En ce qui concerne la France qui se présente comme un régime parlementaire, une troisième étape dans la nomination du Gouvernement devrait logiquement être le vote de confiance du Parlement. Mais selon notre Constitution ce vote de confiance est facultatif. Ce caractère facultatif est notamment dû à l’importance du Président de la République dans les institutions françaises ; par ses pouvoirs constitutionnels considérables et son élection au suffrage universel direct, il est l’organe dominant de la Vème République. Le Premier ministre tire ainsi sa légitimité de sa simple nomination par le Président et non de la majorité parlementaire. Ce statut présidentiel est une exception dans les régimes parlementaires, c’est pourquoi dans les autres pays, le Premier ministre doit poser une question de confiance au Parlement pour obtenir la légitimité nécessaire pour gouverner, légitimité qu’il ne peut tirer de sa simple nomination.
En France, la procédure de vote de confiance est régie par l’alinéa 1er de l’article 49 de la Constitution : “Le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale”. L’article dans sa formulation ne pose donc pas d’obligation à cet engagement de responsabilité.
Il faut ici aussi faire état de la pratique. Les différents premiers ministres de la Vème République ont eu tendance à recourir à ce mécanisme lorsqu’une majorité à l’Assemblée nationale leur était assurée. Ainsi, de 1993 à 2020 tous les premiers ministres ont demandé la confiance de l’Assemblée. Cependant en 2022 Elisabeth Borne avait rompu avec cet usage, car celle-ci n’avait pas de majorité assez solide, et elle risquait sérieusement un vote défavorable qui l’aurait obligé à démissionner. La composition de l’Assemblée étant la même à ce jour, il y a fort à parier que le nouveau Premier ministre lui aussi ne se risquera pas à un vote de confiance à hauts risques.
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