Projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique : vers une restriction des VPN ?
Auteur : Jules Beattie, master de droit des médias électroniques, Aix-Marseille Université
Relecteur : Philippe Mouron, maître de conférences en droit privé, Aix-Marseille Université, Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC)
Secrétariat de rédaction : Loïc Héreng
Le 10 mai 2023, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé du numérique présentaient le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique au Conseil des ministres. Le projet a été adopté en première lecture, avec modifications et à l’unanimité, par le Sénat le 5 juillet 2023 et attend maintenant sa lecture à l’Assemblée nationale, qui a lieu cette semaine.
Plusieurs grandes propositions sont à débattre, visant la sécurisation et la régulation de l’espace numérique. Parmi les mesures les plus emblématiques figurent la mise en place de filtre anti-arnaque, le blocage rapide des sites pornographiques accessibles aux mineurs, ainsi que des peines de bannissement des réseaux sociaux pour les cyberharceleurs. Le député Vincent Thiebaut a proposé dans l’amendement n°915, l’ajout d’un article dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004. Cet amendement vise à empêcher la mise à disposition au public de VPN permettant l’accès à un réseau internet non soumis à la législation et la réglementation française ou européenne par les boutiques d’application logicielle (Playstore, AppleStore…). En cas de non-respect de cette interdiction, les sanctions encourues par les boutiques d’application logicielle sont une peine d’amende ne pouvant excéder 1 % du chiffre d’affaires mondial pour l’exercice précédent.
Qu’est-ce qu’un VPN ?
Le VPN pour Virtual Private Network (en français, réseau privé virtuel) permet d’accéder au Web de manière sécurisée et privée en acheminant la connexion de l’utilisateur via un serveur qui dissimule notamment son adresse IP.
L’usage d’un VPN est précieux pour les utilisateurs cherchant une connexion sécurisée et cryptée vers le web, dans un souci de protection des données de connexion. C’est notamment le cas des salariés en télétravail souhaitant passer par la connexion de leur entreprise et non par celle de leur domicile, toujours dans un but de sécurisation de leur cyberespace. Autre exemple, le VPN permet de transiter par une connexion sécurisée dans les lieux publics, comme les gares, les réseaux publics étant très peu sécurisés. L’utilisation d’un VPN est donc légitime pour quiconque voudrait renforcer la sécurité de son espace numérique.
À l’inverse, les VPN permettent aussi de se soustraire aux législations et aux règlementations mises en place au sein d’un État, et ainsi contourner les restrictions en vigueur. Par exemple, un VPN permet de contourner certaines vérifications d’âge ou de localisation mises en place en application des lois et règlements. De plus, il permet aussi de se rendre plus anonyme au sein de l’espace numérique. Bien que l’anonymat total n’existe pas, l’usage d’un VPN rend l’utilisateur bien plus discret, échappant ainsi à la collecte des données de connexion de la part des fournisseurs d’accès à internet. Un VPN confère dès lors aux utilisateurs malveillants une sensation d’impunité, ce qui a pu être relevé pour les cas de harcèlement en ligne.
Interdire les VPN faciliterait les vérifications d’âge ou la lutte contre le cyberharcèlement, mais…
Le but recherché par cet amendement est de renforcer l’efficacité d’autres dispositions du projet de loi, en particulier l’instauration d’un référentiel assurant une vérification d’âge efficace, destiné à empêcher l’accès des mineurs aux sites pornographiques. Or, l’utilisation d’un VPN permettrait à n’importe quel utilisateur de contourner cette vérification. Une autre proposition d’amendement, par la suite retirée, prévoyait de bannir l’utilisateur du VPN contrevenant au droit, en bloquant la possibilité de publier, commenter ou interagir sur les réseaux sociaux.
Pour autant, l’interdiction totale des VPN ou le blocage de leur utilisateur évoquent le spectre de certains régimes autoritaires qui ont délibérément pris pour cible ces systèmes de connexion. Car les VPN peuvent aussi servir à des usages légitimes, comme l’exercice de la liberté d’expression, ne serait-ce qu’en permettant l’accès à des contenus qui peuvent être bloqué pour des raisons strictement politiques. Si elle semble donc difficile à mettre en œuvre en l’état, cette proposition d’interdiction a pour mérite de pousser à une réflexion sur le sujet.
L’utilisation de VPN en France demeure pour l’instant légale et autorisée, tant que l’utilisateur ne contrevient pas à la loi. Néanmoins, le législateur doit concilier le respect des nouvelles réglementations relatives à certains services et contenus (comme empêcher l’accès aux mineurs aux sites pornographiques) et le droit aux utilisateurs de sécuriser leurs données de connexions dans un monde numérique constamment en proie au vol de données.
L’amendement est toujours en discussion, mais le député Antoine Armand portant le projet de loi déclare souhaiter à terme abolir “ce bouclier naturel derrière lequel certains harceleurs se cachent une fois derrière leur écran” tout en concédant que “la technologie des VPN présente bien trop d’avantages (…) pour être balayée d’un revers de main”. À suivre donc…
Cet article a été rédigé, lors de sa première publication, dans le cadre d’un partenariat avec le Master 2 Droit des médias électroniques de l’Université d’Aix-Marseille, entre octobre 2023 et janvier 2024. Plus d’articles peuvent être consultés sur le site internet de l’Institut de recherches et d’études en droit de l’information et de la culture (IREDIC)
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