Projet de loi sur l’activité d’influenceur : vers un encadrement plus strict des pratiques commerciales sur les réseaux sociaux
Auteurs : Marine Migeon, master de relations internationales, Sciences Po Saint-Germain-en-Laye
Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay
Relecteur : Vincent Couronne, docteur en droit européen, chercheur associé au centre de recherches VIP, Université Paris-Saclay
Secrétariat de rédaction : Emma Cacciamani
Une proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale et qui passera devant le Sénat, met en place une sorte de police des influenceurs, destinée à éviter les dérives ayant donné lieu à divers scandales dernièrement. Cette profession sera définie et encadrée, et visera aussi les influenceurs basés à l’étranger. Reste à vérifier quelle sera l’impact réel de ce texte s’il est définitivement adopté, notamment face aux GAFAM.
Jeudi 30 mars, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi afin d’élaborer une définition juridique des influenceurs. Ce texte vise à encadrer ce qu’on appelle le marketing digital : il s’agit d’une méthode par laquelle des personnalités utilisent leur notoriété dans les réseaux sociaux pour mettre en avant des produits ou services, en échange d’une rémunération de la part des producteurs, pouvant s’élever à plusieurs milliers d’euros. Cette loi, si elle est aussi votée par le Sénat, permettra notamment de renforcer l’interdiction de dérives telles que les promotions en ligne de produits médicamenteux, les incitations trompeuses à investir dans les cryptomonnaies ou d’autres publicités mensongères.
Il s’agit donc de consacrer officiellement l’activité d’influence commerciale, tout en l’encadrant. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a par ailleurs déclaré à ce sujet le 24 mars que “nous ne laisserons plus rien passer : aucune dérive, aucun abus, aucune malversation”. Est-ce réellement la fin des abus sur les plateformes en ligne, dans un marché de l’influence qui dépasse aujourd’hui les 15.6 milliards d’euros ?
Définir juridiquement l’influenceur
Habituellement, on s’appuie sur la définition de l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) qui décrit l’influenceur comme un “individu exprimant un point de vue ou donnant des conseils, dans un domaine spécifique et selon un style ou un traitement qui lui sont propres, à une audience identifiée”. Cette définition reste cependant imprécise. C’est pourquoi le texte adopté propose à l’article 1er la définition suivante : “Les personnes physiques ou morales qui mobilisent leur notoriété pour communiquer au public par voie électronique des contenus visant à faire la promotion, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque en contrepartie d’un bénéfice économique ou d’un avantage en nature”.
Les pratiques déviantes voire pénalement répréhensibles
Les bases de données juridiques fourmillent d’affaires dans lesquelles des influenceurs sont condamnés pour des pratiques illégales, commerciales ou non. Qu’il s’agisse de dénigrement des concurrents : ainsi ce “MonsieurDream” qui s’écrie sur sa chaîne “C’est quoi cette merde ! Il faut vite le jeter dans le feu !” à propos d’un magazine qui vient d’être lancé (Cour d’appel de Paris en 2021, n° 19/17218) ; cet autre influenceur condamné pour parasitisme commercial (c’est-à-dire copier les méthodes des autres pour exploiter leur notoriété) aux dépens de la blogueuse Maja Wyh (Tribunal de grande instance de Paris, 2021, n° 20/1357) ; on note aussi la participation à des tromperies au détriment des consommateurs (Cour d’appel de Paris, 2021, n° 20/07218) ; et enfin il y a les escrocs, comme Bryan J. alias Bryan “les bons plans”, qui vendait des faux certificats d’assurance et condamné à la prison, Ramon Abbas dit “Ray Hushpuppi”, plus haut de gamme, condamné aux États-Unis à 11 ans d’emprisonnement pour une escroquerie estimée à 300 millions de dollars, Paul Antony dit “PA7”, en prison pour avoir incité ses abonnés à monter de fausses entreprises pour toucher des aides de l’État lors de la pandémie de Covid-19.
Last but not least, ce sont les pratiques de dropshipping qui ont fait réagir le législateur : la plus célèbre des sorties de route est celle de Dylan Thiry, qui vantait et faisait vendre depuis Dubaï les mérites d’AirPods Apple qui se sont révélés des faux, et qui, surtout, faisait la promotion des compléments alimentaires qui guérissent les “cellules cancérigeuses” (comprenez “cancérigènes” mais n’allez pas pour autant y croire) !
La réaction du législateur
La proposition de loi en discussion tend donc à clarifier les pratiques et à interdire notamment la publicité de produits de santé (déjà interdite par le Code de la santé publique), placements et investissements financiers (déjà sous contrôle de l’Autorité des marchés financiers), jeux d’argent (également sous contrôle de l’Autorité nationale des jeux). Elle vise aussi à encadrer la pratique du dropshipping, obligeant l’influenceur à informer son audience sur l’identité de son fournisseur.
La Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a démontré qu’environ 60 % des personnes utilisant les réseaux sociaux à des fins d’influence ne respectent pas la réglementation sur la publicité ni le droit des consommateurs. Ainsi, tout individu promouvant en ligne des produits contre rémunération ou avantage de quelque forme que ce soit, devra déclarer le caractère commercial de ses messages. La loi crée également des sanctions pénales pouvant aller jusqu’à la sanction d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, en cas de violation des règles de la publicité (comme dans le cas de la promotion de la chirurgie esthétique).
Quid des influenceurs basés à l’étranger ?
Parmi les influenceurs les plus connus, bon nombre exercent depuis l’étranger, plus particulièrement Dubaï (dont le fameux Dylan Thiry) ou les États-Unis. C’est pourquoi le texte prévoit qu’un influenceur est soumis au droit français dès lors que son activité d’influence commerciale par voie électronique est à destination d’un public français. À cet effet, il est prévu d’imposer à chaque influenceur d’avoir un représentant légal en France, qui répondrait ainsi de ses pratiques et pourrait donc être sanctionné en application de la loi française.
Il est cependant à craindre que pour les influenceurs basés à l’étranger, la loi française soit peu dissuasive. Une coopération inter-étatique devra être mise en place si l’on veut véritablement empêcher des pratiques frauduleuses sur internet. Peut-on espérer une véritable coopération judiciaire avec Dubaï à ce sujet ? Pas sûr, au vu des polémiques autour de la fiscalité avantageuse des Emirats avec par exemple un taux d’imposition sur les revenus établi à 0 % pour les résidents fiscaux à Dubaï.
Pour aller plus loin, la proposition de loi examinée aujourd’hui, pourrait imposer aux plateformes l’obligation d’installer un dispositif de signalement des pratiques interdites, agressives et trompeuses.
Un label “Influenceur responsable” ?
Le syndicat du conseil en relations publiques (qui entend représenter les influenceurs) a réagi à cette proposition de loi en promouvant le lancement dès avril d’un “e-label” certifiant de “l’influence responsable” de celui à qui il est attribué. Ce label n’est pas sans rappeler le fiasco du badge bleu sur Twitter, très critiqué car il créait une catégorie d’influenceurs “approuvés” . On peut y voir une menace sur la liberté d’entreprendre et d’expression : quels seraient les critères de sélection ? Par qui serait-il attribué ? Quels avantages pour les influenceurs sélectionnés ?
Qui contrôlera les influenceurs ?
Le journal Le Monde soulignait déjà en février 2023 que “Face aux influenceurs, la répression des fraudes manque de moyens”. Mais alors quelle autorité serait en mesure d’appliquer la nouvelle loi aux influenceurs si la DGCCRF semble déjà peiner face aux pratiques controversées voire illégales ? Encadrer le marketing numérique nécessiterait une croissance des effectifs de la DGCCRF, alors même qu’un rapport sénatorial de septembre 2022 dénonçait le fait que cette autorité ait perdu le quart de ses effectifs entre 2007 et 2022, passant de 3 723 à 2 812 équivalents temps plein. Il reste encore beaucoup de chemin à faire avant une régulation effective des pratiques : la loi seule ne peut rien faire si l’administration est incapable de l’appliquer.
Enfin, il faudra aussi tenir compte d’une régulation bien plus puissante que la loi française, celle des GAFAM, lorsqu’ils mettront en place leur propre régulation vis-à-vis des influenceurs ne respectant pas leurs propres critères de bonnes pratiques.
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