Procès “Mediator” : la justice enfonce le clou

Les avocats du groupe Servier annoncent se pourvoir en cassation. Photo Les Surligneurs (tous droits réservés)
Création : 21 décembre 2023
Dernière modification : 22 décembre 2023

Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste

Relecteur : Jean-Paul Markus, professeur de droit public, Université Paris-Saclay

Le groupe Servier a été condamné mercredi 20 décembre pour tous les délits qui lui étaient reprochés, y compris ceux écartés en première instance. Il devra rembourser 415 millions d’euros à la sécurité sociale.

Sur le banc des parties civiles, beaucoup ont le dos courbé et les cheveux gris. Certaines victimes de l’un des plus grands scandales sanitaires français auront dû attendre plus de trente ans, mais le jeu en valait la chandelle. L’amende de 2,7 millions d’euros dont avait écopé le groupe pharmaceutique pour tromperie aggravée en 2019 a été multipliée par trois. Les délits d’obtention indue d’autorisation de mise sur le marché et d’escroquerie, respectivement jugés prescrits et non caractérisés à l’époque, ont été retenus, permettant à la Cour d’appel de Paris de prononcer une amende record à l’encontre de Servier.  

“Systématisme dans la dénégation”

Dans la salle “Grands procès” flambant neuve, le président s’est attaché à démontrer que le laboratoire à l’origine de la commercialisation du benfluorex entre 1976 et 2009, sous le nom de Mediator, savait qu’il était nocif pour la santé, et a tout fait pour le dissimuler. 

Alors que les propriétés anorexigènes – ou coupe-faim – du médicament apparaissent dans le brevet d’invention déposé en 1967, et qu’il est reconnu dans les notes internes au laboratoire, son fondateur, Jacques Servier, décide lors d’une réunion de novembre 1969 de le présenter exclusivement comme “correcteur du métabolisme lipidique”, autrement dit un antidiabétique. Une manière d’éviter “toute curiosité sur la cause de l’effet amaigrissant”, a éclairé le président. Pour développer son médicament, Servier cache en effet qu’une fois administré, son principe actif se métabolise en norfinfluoramine, un dérivé de l’amphétamine, responsable de l’amaigrissement, et suspecté dès la fin des années 1960 d’avoir engendré des cas d’hypertension artérielle et de valvulopathie.

En 1997, deux autres médicaments du laboratoire, de la même famille, sont incriminés dans des problèmes cardiaques graves, et retirés du marché. Mais au lieu d’informer l’Agence du médicament, les médecins et les patients, Servier s’efforce “d’escamoter les similitudes entre les deux”, a expliqué le juge, avant de dénoncer un “systématisme dans la dénégation” au fil des années. 

 Manœuvres frauduleuses 

Grâce à cette distinction artificielle entre le Mediator et les autres médicaments contenant du finfluoramine, les laboratoires Servier parviennent à obtenir le renouvellement de son autorisation de mise sur le marché jusqu’en 2009. Il figure sur la liste des médicaments remboursés par la sécurité sociale, alors même qu’il est massivement prescrit comme coupe-faim. Pour le juge, cela caractérise non seulement une autorisation indue de mise sur le marché, mais également une escroquerie, “chaque fois qu’un organisme de sécurité sociale procède à un remboursement”, alors que celle-ci n’avait pas été retenue en première instance. 

La cour d’appel a donc condamné le groupe à payer 415 millions d’euros à la sécurité sociale, qui s’était portée partie civile. “La décision est plus que satisfaisante : le spectre pénal s’est élargi”, s’est félicité​ Maître Alain Antoine, avocat du collectif  « Mediator Réunion », qui regroupe 200 victimes. Une décision assez rare pour être soulignée. En 2003, la justice avait débouté la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Saint Nazaire, qui réclamait 18,66 millions d’euros, cette fois aux industriels du tabac, responsables selon elle de cancers développés par ses assurés entre 1997 et 2002. À l’époque, les juges avaient refusé de faire le lien entre la maladie et la consommation du produit. 

La main lourde ?

Le président a également tenu, avant de prononcer les peines, à visibiliser les souffrances des milliers de victimes, dont 7650 s’étaient constituées partie civile. Il a rappelé “l’angoisse de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, la mobilité réduite, la souffrance, la survie”. Il est revenu sur le “soupçon” que l’affaire a fait naître sur la filière de soins, conduisant des malades à “mettre en cause la parole médicale, avec un risque sur leur santé et la santé des autres”. Des faits d’une “particulière gravité” qui l’ont conduit à confirmer les indemnités attribuées lors du premier procès. 

À peine sortie de la salle d’audience, la défense a annoncé se pourvoir en cassation. Pour les avocats du groupe Servier, “ce type d’affaire constitue un enjeu pour la justice, constamment critiquée quand elle n’a pas la main suffisamment lourde”. La saga judiciaire autour du Mediator n’est sans doute pas tout à fait terminée.

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