Procès des viols de Mazan : pourquoi parler de “scènes de sexe” plutôt que de “viols” ?
Dernière modification : 27 septembre 2024
Auteurs : Gabriel Menissier et Emma Muller, étudiants en Master 1 de droit pénal à Nancy
Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay
Jean-Baptiste Thierry, professeur de droit pénal à l’université de Lorraine
Liens d’intérêts ou fonctions politiques déclarés des intervenants à l’article : aucun
Secrétariat de rédaction : Alexandra Maubec, étudiante en LLCER à la Sorbonne Nouvelle
À l’occasion du procès Mazan, les propos tenus par le président de la cour criminelle du Vaucluse font polémique et offusquent l’opinion publique. Ils respectent pourtant un principe fondamental en matière pénale : la présomption d’innocence.
“On va parler de scènes de sexe plutôt que de viols.” Cette phrase, lâchée par le président de la cour criminelle du Vaucluse, lors du deuxième jour du procès Mazan, a choqué. En salle d’audience comme sur les réseaux sociaux, la bronca a été immédiate.
Sur le réseau social X, des internautes s’indignent : “Ça suffit de dire sexe, ce n’est pas du sexe”. L’incompréhension est entendable : comment peut-on qualifier ces séquences de “scènes de sexe” alors même que de nombreuses vidéos des faits ont été retrouvées dans l’ordinateur du principal accusé ?
Présomption d’innocence
La distinction opérée par le président de la cour criminelle du Vaucluse se justifie par la nécessité de respecter l’un des principes directeurs du procès pénal : la présomption d’innocence.
Reconnue comme un principe à valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel dans sa décision n°80-127 DC du 20 janvier 1981, prévue à l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la présomption d’innocence est consacrée par l’article préliminaire du Code de procédure pénale. Ainsi que par l’article 6, paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme qui dispose : “Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie”.
La présomption d’innocence est un droit fondamental qui permet à tout un chacun de ne pas être présenté publiquement comme coupable avant d’avoir été jugé. En ce sens, l’utilisation de l’expression “scènes de sexe” plutôt que scènes de “viol” se justifie par le renvoi du terme “viol” à une infraction pénalement répréhensible.
Qualifier ces scènes de “viol” reviendrait à considérer les accusés comme coupables de viol avant même qu’un jugement ne soit rendu, c’est-à-dire aller à l’encontre de la présomption d’innocence. On rappelle à toutes fins utiles qu’une personne est présumée innocente jusqu’à son éventuelle condamnation, y compris pendant le procès.
Attendre l’issue du procès
Pour qualifier ces “scènes de sexe” de scènes de “viol”, il est nécessaire que l’infraction de viol soit caractérisée, c’est-à-dire que tous ses éléments constitutifs soient établis et reconnus comme tels par les juges : l’acte de pénétration sexuelle d’une part, et le recours à la violence, la contrainte, la menace ou la surprise, d’autre part.
Par conséquent, ce n’est qu’à l’issue du procès, après prononcé de la décision, que ces scènes pourront être qualifiées de “scènes de viol”, à condition que les accusés aient été reconnus coupables d’un tel crime.
Bien que pouvant paraître choquant, notamment au regard des preuves déjà présentées, le principe de présomption d’innocence reste fondamental puisqu’il permet de protéger les droits et la dignité des accusés dont la culpabilité n’a pas encore été établie. Le 23 septembre dernier, les chefs de la Cour d’appel de Nîmes ont d’ailleurs publié un communiqué de presse pour rappeler ces fondements.
Si ce principe n’est pas respecté par un juge, le jugement pourrait être remis en cause par la Cour de cassation, et pourrait même entraîner une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme.
Celle-ci a, par exemple, déjà considéré qu’il y a violation de la présomption d’innocence lorsqu’un juge, statuant sur une action en indemnisation, affirme qu’une personne décédée et jamais condamnée a commis, de son vivant, un abus de biens sociaux.
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