Procès Dernière Rénovation : “Madame la présidente, je l’ai aussi fait pour vous”
Dernière modification : 25 mai 2023
Autrice : Clotilde Jégousse, journaliste
Relecteurs : Jean-Paul Markus, professeur de droit public à l’université Paris-Saclay
Jeudi 11 mai dans la soirée, huit militants écologistes de Dernière Rénovation ont été condamnés par le Tribunal correctionnel de Créteil pour avoir bloqué l’autoroute A6 le 28 octobre dernier. Au terme d’une audience marathon, la Présidente a retenu le délit d’entrave à la circulation, rejetant les demandes de relaxe fondées sur l’état de nécessité face à l’urgence climatique, et sur l’exercice de la liberté d’expression.
Un dialogue de sourds. “On aurait pu s’asseoir et ne rien dire, ça n’aurait rien changé”, déplorent les avocats de la défense. À quelques minutes du jugement, la décision fait peu de doutes.
D’un côté, le parquet a cherché à savoir si, en bloquant l’autoroute A6, les huit militants écologistes du collectif de “résistance civile” Dernière Rénovation – connu pour ses actions coup de poing visant à dénoncer l’inaction climatique du gouvernement – avaient entravé la circulation et mis en danger la vie d’autrui. De l’autre, la défense a exhorté à la prise de conscience face à l’urgence climatique et à la désobéissance civile, invoquant ses illustres défenseurs. Elle a plaidé l’état de nécessité et l’exercice de la liberté d’expression. Forcément, les deux parties avaient peu de chances de se rencontrer.
Cinq militants ont été condamnés à 35 heures de travaux d’intérêt général. Les trois autres les ayant refusés, ils ont écopé d’amendes entre 500 et 1080 euros.
“Je reconnais, mais”
Dans une petite salle du Tribunal de Créteil, pleine à craquer pour l’occasion, les sept prévenus – la huitième n’étant pas présente – se sont avancés tour à tour à la barre. Aux questions “Voulez-vous faire une déclaration ?” et “Acceptez-vous de répondre aux questions ?”, chacun a répondu par l’affirmative. L’occasion de raconter leur histoire, et de mettre ce qu’ils considèrent comme “le vrai sujet” à l’agenda. La nécessité d’un plan de grande ampleur pour la rénovation thermique des bâtiments d’ici 2040.
“Moi, je reconnais m’être assise sur l’autoroute A6 pour faire un blocage qui a un intérêt militant. Si j’y suis allée, ce n’est pas par plaisir. C’est pour que dans dix ans, il y ait toujours des moments avec ma famille”, a commencé Rachel, 21 ans.
Tous lui ont emboîté le pas. Lucas, 42 ans, ancien chef de cabinet d’une adjointe à la Mairie de Paris, pour défendre que “Les politiques publiques ne naissent pas dans la tête des élus, elles sont toujours le résultat d’un rapport de force”. Comme ce fût le cas, selon lui, de l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques à l’horizon 2028. Nathan, 24 ans, originaire du Gers, pour expliquer qu’il avait “vraiment tout essayé”, et bien qu’il aurait “aimé avoir d’autres armes, d’autres moyens”. Thaïs, 32 ans et pharmacienne, pour raconter son volontariat au Soudan du Sud avec Médecins sans frontières. “Il m’est arrivé un truc que j’imaginais pas, qui fait que je suis là : c’est la chaleur” , s’est elle remémorée, avant de poursuivre “après avoir vécu sous 50 degrés, j’ai eu la chance de rentrer. Mais la première chose que j’ai pensé, c’est : je ne veux pas devoir regarder un enfant dans les yeux dans 10 ans et dire que je suis restée sage”. Laure, 20 ans, étudiante en philosophie, première action et premier tribunal, pour manifester son refus de se résigner, même si « c’était terrifiant ». Mais surtout, parce qu’elle “pense qu’on en arrive à un stade où on passe de la légalité à la légitimité”.
Rejet de l’« état de nécessité » comme fait justificatif
Comme dans d’autres affaires similaires visant des membres de la campagne Dernière Rénovation, la défense a plaidé l’état de nécessité pour justifier leur action, sur la base de l’article 122-7 du Code pénal. Le texte prévoit l’absence de responsabilité pénale pour une personne agissant de façon nécessaire et proportionnée “face à un danger actuel ou imminent” qui la “menace elle-même, autrui ou un bien”.
Jusque-là, la justice n’a jamais accepté d’appliquer cet article au dérèglement climatique, estimant que le danger encouru n’était pas imminent, ou que l’action des militants n’était pas de nature à le neutraliser — en tout cas pas le moyen le plus adéquat pour le faire. Ce fût notamment le cas dans l’affaire des “décrocheurs de portraits” du Président de la République dans les mairies pour dénoncer l’inaction climatique, concernant l’intrusion des militants de Greenpeace dans la centrale nucléaire de Cattenom, ou la dégradation par des activistes de bidons de désherbants contenant du glyphosate dans des magasins de bricolage. Si le tribunal de Foix avait prononcé la relaxe, la cour d’appel avait infirmé la décision, confirmée par la Cour de cassation, estimant qu’elle avait “souverainement estimé qu’il n’était pas démontré que la commission d’une infraction était le seul moyen d’éviter un péril actuel ou imminent”.
Une jurisprudence que la défense espérait faire évoluer. La veille du procès, Marie Ollivier, l’une des avocates, expliquait aux Surligneurs qu’“en réalité, elle ajoute un critère qui n’est pas prévu par l’article. Elle sous-entend que l’action soit l’unique moyen de lutter contre le réchauffement climatique. Mais il a énormément de causes, donc énormément de façon de lutter contre. Alerter l’opinion et les médias, ça force les pouvoirs publics à prendre des mesures”. S’il a été défendu avec force jeudi soir, cet argument n’a, une nouvelle fois, pas trouvé d’écho auprès des juges.
Lors de ses réquisitions, la procureure a demandé une condamnation pour les deux infractions reprochées, et une peine de travail d’intérêt général de 50 à 70 heures, arguant notamment une “absence de lien de causalité entre l’action et la raison qu’on vous invoque”.
Un acte de désobéissance civile ?
Il y a eu Gandhi, les suffragettes, Rosa Parks et Martin Luther King. Les “343 salopes” aussi. Et maintenant les militants de Dernière Rénovation. C’était le deuxième argument de la défense jeudi dernier : en s’asseyant sur l’autoroute A6, les militants écologistes n’ont fait que se placer “du bon côté de l’histoire”, celle écrite par ceux qui ont désobéi à la loi pour la faire évoluer.
En 1849, Henry David Thoreau théorise pour la première fois la notion de désobéissance civile dans un essai éponyme. Le philosophe américain, emprisonné deux ans plus tôt pour avoir refusé de payer ses impôts pendant six ans à l’État du Massachusetts pour protester contre l’esclavagisme, y défend la nécessité pour le citoyen de se rebeller contre les “lois injustes”. Pour entrer dans le cadre de la désobéissance civile, l’infraction doit être consciente, publique, collective et non violente. Ses auteurs, qui défendent une cause d’intérêt général, doivent en accepter les sanctions.
Cette notion n’est pas reconnue en droit français en dehors du cas de résistance à l’oppression (article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789). Néanmoins, la jurisprudence semble avoir ouvert la voie à son rattachement à la liberté d’expression, protégée par l’article 11 du même texte. Le 22 septembre 2021, la Cour de cassation a cassé une décision de la Cour d’appel de Bordeaux — condamnant des “décrocheurs de portrait” pour vol aggravé — estimant que l’entrave à la liberté d’expression qu’elle impliquait pouvait être “disproportionnée”. C’est dans cette brèche que la défense a tenté, jeudi dernier, de s’engouffrer.
“Dissuader quelqu’un qui porte un débat d’intérêt général, c’est le museler, c’est le baillonner, et c’est violer sa liberté d’expression. Notre présence ici même est constitutive d’une ingérence dans leur liberté”, a-t-elle défendu. Mais ni les assauts des robes noires, ni la déposition de Michel Forst, rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement, en faveur de la désobéissance civile, “conforme au droit international des droits de l’Homme” n’auront suffi à faire pencher la balance.
“Je ne conteste pas que la cause soit juste. Je ne leur reproche pas d’avoir des idéaux, de vouloir faire que les choses changent. Ce que je ne peux pas cautionner, c’est le moyen utilisé : la violation de la loi. La liberté d’expression a des limites”, a conclu la procureure.
“Je l’ai fait pour vous”
Devant des observateurs éreintés, la présidente a rendu son jugement. Mais avant, elle a demandé à chacun des prévenus s’il avait quelque chose à ajouter. Une nouvelle fois, personne ne s’est fait prier. Et les mots de Thaïs résonnent peut-être encore dans la petite pièce faiblement éclairée.
“Ce que j’ai fait, Madame la Présidente, je ne l’ai pas fait pour moi. Je l’ai aussi fait pour vous.”
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